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Aristide Panotis

Les Pacificateurs

[ Le Pape Paul VI et le Patriarche Athenagoras I ]. Athenes 1974

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CÉLÉBRATION DU CINQUANTERAINE ÉPISCOPAL DU PATRIARCHE ATHÉNAGORAS 

À la fin de l’année 1972, le patriarche Athénagoras celebrait 50 années d’episcopat. Ce jubilé, assez rare pour un prélat, a été l’occasion pour un grand nombre de  ses  enfants  spirituels, à travers le vaste  monde, d’honorer la personnalité vénérable du patriarche et mettre en valeur sa contribution dans l’œuvre de l’Église. La première manifestation de ce jubilé a eu lieu à Athènes le 31 janvier, lors de la IIIe Rencontre de Charité des  chrétiens de Grèce  rencontre dirigée par l’auteur de cet ouvrage. Le patriarche a adressé un message à l’assemblée, dans lequel il résume sa doctrine sur le problème de l’unité proche et de l’union ultérieure des deux Églises:

«Nous apprécions à sa juste valeur toute manifestation émanant spontanément de l’ensemble des fidèles  dans le Christ, visant à édifier et à consolider l’amour dans le Christ entre tous les chrétiens, en vue de faire régner la volonté divine : “afin que tous soient un”, de sorte que les chrétiens qui auront constitué  cet “un” sur terre -ainsi qu’ils le sont dans l’Église triomphante dans les cieux- deviennent le ferment qui fera lever et qui pétrira la pâte du genre humain, un genre appartenant à Dieu, un genre appelé à former une unité dans le Royaume et Règne du Seigneur, un Règne d’amour, de paix, de justice et de philanthropie. Pénetrés d’une telle considération concernant l’unité appuyée sur l’amour et oeuvrant dans l’amour dans le genre humain; nous saluons paternellement tous, tout en exprimant le vœu que nous puissions, tous les chrétiens ensemble, travailler, afin de ramener le Christ dans Sa Sainte Église unie425.

La Divine Providence, dans ses voies impénétrables, avait, des le 15 février 1972, préparé le terrain pour placer l’évêque auxiliaire Dimitrios dans le poste voulu d’Elle. En effet, le métropolite des îles Imbros et Ténédos (les seules îles de la mer Égee qui fussent attribuées par le traité de Lausanne, à la Turquie, «gardienne des Détroits») est muté pour des raisons de santé et c’est Dimitrios qui est promu à la dignite de métropolite -sur la proposition et avec l’autorisation du patriarche œcuménique- par l’élection régulière du Saint-Synode: c’est ainsi que l’évêque auxiliaire de l’Archevêché  de  Constantinople, évêque titulaire d’Éléa, Dimitrios, devient, en même temps que  métropolite  d’Imbros-Ténédos,  membre  du clergé suprême de l’Église orthodoxe en Turquie et membre du Synode Permanent; il est donc désormais électeur et éligible en cas de vacance du trône de Constantinople. La Métropole d’Imbros et Ténédos avec sa population minoritaire de Grecs non-échangés et demeurés sujets turcs, toujours en vertu du traité de Lausanne, traversait certaines difficultés. Si Dimitrios y fut nommé, c’est en raison de ses qualités de pasteur: esprit de sacrifice, vertu évangélique et savoir faire.

Dans un autre ordre d’idées, on doit déplorer la disparition, vers la même époque, du cardinal Eugène Tisserant, le doyen du Sacré Collège. Nos lecteurs ont vu le rôle que cette figure exceptionnelle du monde catholique a joué pour le rapprochement des deux Églises. Il connaissait à fond les questions de l’Orient chrétien; c’était une sommité et faisait autorité en matière d’Histoire de l’Église; il avait des vues très larges et il a apporté, avec un zèle digne des plus grands éloges, son témoignage dans tout ce qui touchait à l’unité des deux Églises. Il avait participé aux trois Rencontres historiques du pape et du patriarche et il s’était lié personnellement et affectueusement avec le patriarche et d’autres personnalités du monde orthodoxe, ecclésiastiques et laïcs.

À l’occasion de Pâques, des lettres de circonstance sont échangées entre le Vatican et le Phanar. Cependant le patriarche, depuis bientôt trois ans, supporte difficilement, sur le plan physique, le poids de ces cérémonies sacrées. Certes, il assiste à tous les services, mais il a désigné Mgr. Méliton pour presider aux saintes Liturgies et aux diverses manifestations de la semaine sainte. Le patriarche se contente, toujours présent, de bénir les fidèles et de recevoir visiteurs et pèlerins.

Pour la première fois, lors des  agapes pascales, auxquelles assistent tous les prélats et tous les “officiers” de la Grande Église d’Orient, le patriarche Athénagoras ne se borne pas à adresser ses vœux, toujours paternels  et chaleureux: il ajoute  cette parole troublante: «mon temps est proche» (Matt. 26, 18) et demande ensuite pardon à l’assistance des fautes et des péchés par omission, qu’il avait pu commettre pendant la durée de son episcopat (!). Les seules faiblesses qu’on aurait pu lui imputer, si la chose était permise, c’eût été dans le domaine des forces physiques, ce qui, à son âge, pouvait se concevoir: ces facultés  baissaient  peut-être, mais, sur le plan intellectuel, c’était toujours la même lucidité d’esprit, la même vivacité, le même moral, la même volonté de fer pour tout ce qui était question ecclésiastique, accueil des  visiteurs. Cela ne l’empêchait pas de sentir sa fin prochaine. C’est pourquoi, en bon chrétien devant quitter ce monde temporel, il tenait à se faire pardonner, selon lui, et à saluer ses collaborateurs...

Le 7 juin, le rév. p. Pierre Duprey se rend au Phanar, porteur d’une lettre du pape adressée au patriarche. Cette visite entrait également dans le cadre des efforts des deux Églises en vue de se tenir au courant de leur activité respective. Reçu en audience par le patriarche qui prend connaissance de la lettre du 4 juin, il est chargé de transmettre à Paul VI les réactions d’Athénagoras que celui-ci développe longuement.

Voici le teneur de cette missive du pape :

«Sa Saintete Athénagoras

 Patriarche  œcuménique.

Sainteté,

Les signes récents de fraternité et d’affection, que Votre Sainteté a renouvelés à notre égard, ont trouvé un écho profond dans notre cœur. Ils ont été pour nous un motif de joie vraie et sincère. Nous tenons à Vous en remercier avec une chaleureuse gratitude.

Considérant les événements de ces dernières années, Nous nous sentons porté spontanément à une intense action de grâces envers le Seigneur qui rendit possible nos Rencontres avec Votre Sainteté et qui nous a permis de servir ainsi et en commun l’Église et son unité.

Nous avons parcouru avec Vous un chemin long et béni, aidant nos Églises à dépasser des obstacles séculaires et à guérir en grande partie les blessures qui divisaient la pensée et le cœur de nos fidèles. L’Église catholique et l’Église orthodoxe se sont ainsi retrouvées profondément proches l’une de l’autre dans leur participation au mystère de «Dieu qui dans le Christ se réconcilie le mondes (cf. 2Cor. 5, 18). Grâce en soit rendue au Seigneur!

L’Esprit nous incite cependant à poursuivre l’œuvre entreprise et à porter à terme la marche vers l’unité, qui devrait trouver son achèvement dans une concélébration de l’Eucharistie, signe efficace de la pleine unité.

Nous aussi, Nous désirons parcourir avec Votre Sainteté le chemin d’Emmaüs, méditant les saintes Écritures, afin de rencontrer le Seigneur dans la fraction du pain.

DERNIÈRE CORRESPONDANCE ENTRE LE PAPE ET LE PATRIARCHE

L’Esprit nous suggère aussi de continuer cette route en union avec nos fidèles. Il suscite en nos cœurs la ferme volonté de faire tout ce qui est possible pour préparer efficacement ce grand jour. Nous devons le faire en chacune de nos Églises en écartant progresaivement, avec une charité vigilante et ingénieuse, les obstacles qui pourraient retarder cette heure tant désirée.

C’est dans ces sentiments que Nous Vous redisons, Frère bien aimé, toute notre profonde et fraternelle charité dans le Christ Jésus.

Du Vatican, le 4 juin 1972

PAULUS PP. VI».

Le patriarche a retenu à dejeuner  le père Duprey, qu’il appelait plaisamment Agathangélos, ou porteur de bonnes nouvelles, ainsi qu’il a été expliqué au début de cet ouvrage, et qu’il estimait tout particulièrement pour sa contribution à la normalisation des relations entre l’ancienne et la nouvelle Rome. C’est donc avec beaucoup de chagrin que le patriarche fit ses adieux au père Duprey.

Le vendredi 16 juin, le patriarche a quitté le Phanar pour se reposer dans l’île de Halki, à l’École théologique, bien connue.

C’est le 22 juin que la lettre de réponse a été rédigée, à Halki justement.

En voici la teneur: «No 395

À Paul, bienheureux et très saint pape de l’ancienne Rome,

Salut dans le Seigneur.

La très precieuse lettre de votre bienheureuse et chère Sainteté, datée du 4 courant et qui nous a été apportée par notre cher révérend père Pierre Duprey, a été reçue avec une profonde dilection et un grand honneur et nous a causé une tr`r vive joie dans le Seigneur, à nous personnellement et à notre Saint-Synode, à qui lecture en a été donnée:

Nous avons rendu grâces au Seigneur et nous vous remercions, vous aussi, frère bon et honoré, pour cette nouvelle occasion de communion qui nous fournit une grande consolation et qui ranime notre commun espoir comme quoi le Seigneur viendra sans tarder donner à Son Église sa parfaite unité, nous réunissant tous, de l’occident, de l’orient, du nord et du sud, autour de la table commune de son nouveau Testament.

En prière, en patience et en soumission à la volonté divine, nous sommes dans l’expectative, avec votre vénérée Sainteté, de ce jour grand et lumineux du Seigneur et nous désirons en toute sincérité œuvrer en commun et lutter avec vous désormais, en ne négligeant rien de ce que nous devons accomplir pour servir l’Église du Seigneur, Église qu’Il s’est acquise par Son propre sang (Actes, 20, 28).

Partant de cela et nous pénétrant de la nécessité de marcher dans cette voie bénie de l’unité, en accord avec les très honorés frères-pasteurs et avec les  fidèles bien-aimés, nous considérons, tout comme votre très chère Sainteté, qu’il est indispensable que, dans chacune de nos deux Églises, soient cultivés de plus en plus l’esprit de fraternité et la vérité: que nous soyons Un en Jésus-Christ.

Prions avec ferveur que la tête immaculée de l’Église, le Christ -car c’est de lui que tout le corps bien coordonné et formant un solide assemblage tire son accroissement  et s’édifie lui-même  (voir Épitre aux Éphésiens 4, 15-16)- nous accorde un esprit de vigilance et de sagesse, afin que nous puissions bien servir, au cours de cette période fort importante et délicate d’édification en profondeur, la sainte œuvre de l’unité, pour qu’elle soit parachevée de façon heureuse et stable, pour la gloire du Dieu de la Trinité.

En renouvelant les assurances de notre amour fraternel dans le Seigneur et de notre solidarité avec votre Sainteté, nous lui adressons un saint baiser avec notre plus haute considération.

 

Fait à l’École théologique de Halki le 22 juin l972.

De votre infiniment vénérée Sainteté, le frère affectionné dans le Christ AΤHÉNAGORAS de Constaniinople».

Ces deux lettres ont été le dernier baiser d’amour échangé entre les deux chefs d’Église qui, à l’instar des apôtres Pierre et Faul, «étaient bien séparés de corps, mais étaient unis d’Esprit».

 

LA MORT DU PATRIARCHE ATHÉNAGORAS

L’Église orthodoxe a consacré une courte période d’abstinence et de prière pour la préparation spirituelle des fidèles à la fête des saints Pierre et Paul. Le jour même de la fête, 29 juin, le patriarche assiste à la sainte Liturgie et, au moment de la sainte Eucharistie, il lit lui-même les passages concernant la sainte Communion: il porte son étole et  son palium. Il communie  lui-même de ses propres mains,  avec  une intense  émotion perçue des assistants. Là, il est visible que ses forces physiques ont décliné manifestement, en dépit des efforts de ses médecins traitants, auxquels est venu se joindre, le 29 mai, le professeur Ch. Feliger, de Vienne, ami personnel du patriarche et qui a instauré le traitement à suivre.

Après la sainte Liturgie, Athénagoras adressa un salut paternel à l’assistance qui retenait son émotion, et, soutenu par les hommes de sa suite, il remonta les marches qui le conduisaient dans ses appartements privés. Il etait l0h 30. Le patriarche s’etendit pour reprendre des forces. On lui proposa un verre de lait.

-«Non. Je désire conserver dans mon corps la sainte Communion, le plus longtemps possibles.

Peu après, une délégation  de trois Grecs des  États-Unis est venue rendre visite au patriarche: l’audience, extrêmement intéressante, a été sans doute un peu trop longue pour le corps affaibli du prélat: mais il tenait à se faire mettre au courant de la situation spirituelle de son ancien Archevêché.

A 11h 30 il retourne s’étendre et il reste couché jusqu’a 13h. Alors son valet de chambre lui rappelle qu’il était temps de déjeuner; il l’a aidé à se relever pour s’asseoir sur son lit. Athénagoras se frotte les yeux et demande, en souriant:

- «Que dit le médecin de la faiblesse que je ressens?

- Il vient de téléphoner pour prendre des nouvelles de votre état de santé.»

Le valet aide le patriarche à se lever, lui jette sa soutane sur ses épaules et se dirige vers la porte pour l’ouvrir.

Le patriarche est là, debout, tel un chêne au haut tronc...  On connaît sa stature plus qu’imposante, olympienne, sa longue barbe blanche qui rappelle celle de Moïse, sa riche chevelure chenue rejetée sur les épaules. C’est peut-être la première fois  de sa vie qu’ il hésite à avancer. À peine fait-il un pas, suivi d’un second, qu’il chancelle et  qu’il  s’écroule  d’un coup par terre, tout comme un arbre scié à la racine, avec un bruit énorme.

On le transfère sur son lit. On tente de lui faire reprendre connaissance et l’on y parvient au bout d’un moment.

À la question angoissée du valet, Athénagoras repond:

- «Je viens d’avoir un éblouissement dans les yeux et un vertige. Comment cela a pu m’arriver? Merci de m’avoir relevé  et  pardonne- moi du mal que je te donne».

Mais, peu après, Athénagoras a commencé à se plaindre de sa hanche. Il se demande s’il ne vient pas d’avoir une fracture du col du fémur et, s’adressant à son valet, le brave Dimitros, il ajoute: «Est-ce que mon heure approcherait...?». À présent, il a mal à toute la jambe.

Entre-temps, les médecins, le métropolite Méliton sont prévenus. On avertit également les autres archevêques. Le diagnostic confirme une fracture du fémur droit.

Le lendemain, 30 juin, le patriarche est transporté à l’hôpital de Βalikli, à proximité du Phanar. Il a l’esprit lucide. Il charge le métropolite Méliton de le suppléer et d’assumer les responsabilités du Patriarcat.

La nouvelle de la maladie du patriarche a un énorme retentissement auprès de l’opinion publique mondiale. Des vœux de guérison parviennent au Phanar de la part de personnalités ecclésiastiques et politiques du monde entier, de prélats et de laïcs de toutes les Églises. Le pape Paul VI télégraphie, dès  qu’il apprend la triste nouvelle.  «Nous sommes ému de votre état de santé et nous prions le Seigneur de vous accorder un prompt rétablissement».

Toujours parfaitement lucide, le patriarche se soumet aux examens et aux traitements préconisés par les hommes de l’art, mais son entourage a le sentiment que l’auguste malade se sent partir... .

Cette fois, c’est plus gravement qu’il’demandait à ceux qui l’entourent le pardon de ses péchés, de ses omissions, de l’amertume qu’il a pu leur occasionner. Il demandait à voir tout le monde. Il prodiguait de sages conseils à chacun, il donnait des instructions, des indications utiles et bénissait ceux qui accouraient le voir.

À son «protocyncelle»; le métropolite Callinikos, il donne les instructions voulues en ce qui concerne son testament. Lorsque ce dernier tente de le  consoler, il repond: «Non, mon enfant, c’est la volonté du Seigneur qui est faite».

Il a été question de tranporter le malade à Vienne pour lui faire subir une opération, mais, dans la nuit du 5 au 6 juillet, à 0h. 30, des complications  surviennent dans le système abdominal: les  interventions des médecins n’y peuvent hélas! plus rien. L’organisme décline rapidement.

Dans la matinée du 6 juillet, il s’adresse à son valet Manolis. Il le prie de déposer dans son cercueil, une fois mort, une petite icone de la Sainte Vierge et la Croix dont il ne se sépare jamais. Quant à son encolpion ou croix pectorale, il le charge de la remettre à son archidiacre.

Dans l’après midi du même jour, le métropolite Méliton lui demande s’il désirait communier.

- «Merci, mon fils, d’y avoir pensé. Τu penses à tout! Je te  dois tant de choses! C’est toi qui as soutenu l’Église, le Patriarcat, tu as été également le soutien de ma vieillesse. Je te donne ma bénédiction!».

À 16h, le métropolite Méliton, les prélats et ecclésiastiques de l’entourage du patriarche et des parents assistent à la cérémonie. On chante le saint Sacrement des malades. Athénagoras est oint avec le saint chrème.

Athénagoras réitère sa demande de pardon a tous, après quoi lemétropolite Méliton lui administre la sainte Communion.

Le patriarche est assis sur son lit. Il porte son étole. Son extrême émotion répond à celle des assistants à cette cérémonie bouleversante. Athénagoras prie, fait le signe de la croix et ajoute le passage bien connu de la sainte Liturgie:

«Prions le Seigneur qu’Il nous accorde une fin de vie chrétienne, sans douleur, sans honte, empreinte de paix; et que nos actes trouvent grâce devant le Tribunal redoutable du Christ».

Cet instant grandiose fut l’épilogue de la vie du grand Athénagoras.

À 18h., le métropolite Méliton entouré d’autres dignitaires du Patriarcat adresse une prière spéciale à la Toute Sainte Théotokos, Mère de Dieu, devant son icone miraculeuse.

À 19h., on se réunit à l’hôpital. La gravité de l’état de santé du patriarche est désormais connue de tous. Le malade est entouré de sa sœur, Mme Agathé Alexiadis, de son neveu M. Spyrou, du protocyncelle métropolite Callinikos, de son archidiacre Théoclitos, du  diacre  Germanos chargé des procès-verbaux patriarcaux, de l’infirmière  Mlle  Sophie  qui lui tient constamment le pouls et des médecins qui se relaient au chevet du mourant.

Pourtant le patriarche conserve toujours sa lucidité.

- Que  deviennent  les  «enfants»  au  secrétariat?  demande-t-il à l’archidiacre.  Je ne vois rien dans les journaux comme communiqués... ».

À 22h., il dit à Mme Alexiadis:

- «Petite sœur, si tu allais te reposer un peu. Nous continuerons demain si nous voyons le jour convenablement».

À 22h. 30, il veut dormir. Il réclame qu’on lui couvre les yeux avec un tissu noir, selon son habitude.

À 23h:30, le pouls devient irrégulier. Il a du mal à respirer. Les médecins font tout pour lui apporter quelque soulagement.

- «Mes enfants, je me sens partir. Que le Christ soit entre vous».

À 23h. 50 les mains ont des mouvements saccadés. Le malade balbutie: «j’ai du mal à réspirer, à respirer...».

À 0h. 10 du 7 juillet 1972 Athénagoras est à l’agonie. À 0h. 22, il rend l’âme, la tête tournée à droite, le visage parfaitement calme.

Athénagoras le Pacificateur vient de mourir! Il aura vécu 86 années , 3 mois  et  12 jours. Il a été patriarche durant 23 années, 8 mois; et 7 jours. Il a servi l’Église pendant 62 années! Que sa mémoire soit éternelle!

C’est l’archidiacre, son subordonné immédiat, qui lui a fermé les yeux; eusuite le métropolite Méliton a baisé la main droite du défunt et les assistants en ont fait de même. Puis, ont eu lieu les préparatifs prévus par les traditions séculaires de l’Église d’Orient et une messe a été chantée par le métropolite Méliton. La nouvelle, transmise au Patriarcat, a été communiquée immédiatement à Athènes a 0h. 40 et, de là, via Genève,  au Vatican.

Dès que le pape eut appris le décès d’Athénagoras, il éprouva une profonde émotion et se rendit dans sa chapelle privée pour prier. Le matin du 7 juillet, une messe a été consacrée au repos de l’âme du grand apôtre de l’unité chrétienne. Aussitôt après, le pape a expédié le télégramme suivant au Phanar:

 

LE PAPE PAUL VI PARLE D’ATHÉNAGORAS

«Saint-Synode du Patriarcat œcuménique

Rum Patrikhanesi, Fener-Istanbul (Turchia)

Nous apprenons avec une émotion profonde le rappel à Dieu de notre frère bien-aimé  dans le Christ  Sa Sainteté le patriarche Athénagoras. Nous vous envoyons nos condoléances très attristées pour cette grande perte qui subit l’Église orthodoxe tout entière et nous prions le Seigneur de recevoir dans son Royaume Celui qui fut un grand protagoniste de la réconciliation de tous les chrétiens et de nos deux Églises en particulier. Nous évoquons les Rencontres que nous avons eues avec le vénéré defunt à Jérusalem, à Istanbul, à Rome, et nous en rendons grâces au Seigneur, dans l’espoir que l’œuvre commencée par Athénagoras se continue pour la plus grande gloire de Dieu et le bien de son Église. Nous vous sommes unis dans la prière en ces jours si douloureux et nous recommandons votre Eglise à la grâce du Seigneur.

PAULUS PP. VI».

Le Saint-Synode Permanent répondit:

«Le vif intérêt montré par Votre Sainteté à l’occasion de la maladie de notre très vénéré et bienheureux père et patriarche, ainsi que Votre cordiale participation à notre deuil lors de son départ vers le Seigneur nous a profondément touchés. Par décision du Saint-Synode Permanent, nous exprimons à Votre Sainteté nos chaleureux remerciements pour tout et nous prions notre Seigneur de Lui donner de nombreuses années en santé inébranlable.

Le Président du Saint-Synode Permanent

métropolite MÉLITON de Chalcédoine».

Le samedi 8 juillet, une délégation du Vatican arrivait à Istanbul qu’elle  quittait immédiatement après les  funérailles  du patriarche, le mardi 12 juillet. Elle était composée du cardinal Jean Willebrands, président du Secrétariat pour l’unité des chrétiens, de l’archevêque Mgr. Giovanni Benelli, substitut de la Secrétairerie  d’État, de l’archevêque Mgr. Salvatore Asta,  pro-nonce  apostolique en Turquie, et du révérend père Pierre Duprey, sous-secrétaire du Secrétariat pour l’unité des chrétiens.

La qualité et le nombre des membres de la Délégation manifestait à la fois l’honneur dont le Vatican tenait à entourer la mémoire du grand disparu et l’importance que l’évêque de  Rome  attribue désormais au trône de l’Église de la nouvelle Rome, Constantinople.

L’envoi de cette Délégation a été profondément apprécié tant de la part des autorités du Patriarcat de Constantinople que des autres délégations présentes à Istanbul.

Le lendemain, dimanche 9 juillet, Paul VI, s’adressant aux fidèles présents à l’Angelus, a évoqué la personnalité du patriarche défunt en ces termes:

«Nous vous invitons à concentrer votre attention (...) sur la mort du vénérable  patriarche  grec-orthodoxe Athénagoras, a Constantinople. Tout le monde en a parlé avec l’admiration et avec le respect dus  aux hommes supérieurs qui personnifient une idée embrassant les destins de l’histoire et tendant à interpréter la pensée de Dieu. Athénagoras: de sa figure extérieure même, majestueuse et hiératique, transpirait sa dignité intérieure, et sa conversation grave et simple avait des accents d’humble bonté évangélique. Il imposait du respect et de la sympathie. Nous, aussi, avons été parmi ceux, qui l’ont admiré et aimé le plus; et Lui a eu pour Nous une amitié et une confiance, qui Nous a toujours ému, et dont le souvenir accroît maintenant notre regret et notre espérance de l’avoir encore Frère près de Nous dans la Communion des Saints.

Vous savez pourquoi Nous recommandons ce grand homme d’une Église vénérée, mais non encore liée tout à fait à notre Église catholique, à votre suffrage: parce qu’il fut partisan constant et apôtre de la réunification  de l’Église grecque orthodoxe avec celle de Rome et aussi avec les autres Églises et communautés chrétiennes non encore réintégrées dans l’unique communion du Corps mystique du Christ.

Trois fois, Nous eûmes le bonheur de Nous rencontrer personnellement avec Lui, et cent fois d’entretenir avec Lui une correspondance écrite; en échangeant réciproquement des vœux et des promesses de déployer tous nos efforts pour rétablir entre nous une parfaite unité dans la foi et dans l’amour du Christ, et toujours Il résumait ses sentiments en une seule et suprême espérance: celle de pouvoir boire dans le même Calice avec nous, c’est-à-dire  de pouvoir célébrer ensemble le sacrifice eucharistique, synthèse et couronnement de la commune identification ecclésiale avec le Christ. Nous aussi, l’avons tant désiré!

Maintenant, ce désir inachevé doit demeurer son héritage et notre engagement. Dans le souvenir devoué du patriarche Athénagoras, prions afin que, par l’intercession de Marie, Mère du Christ et de Son Église, ce vœu puisse s’accomplir426.

Le même jour, le cardinal Willebrands publie dans l’ “Osservatore Romano” un article très pénétrant, dont voici quelques extraits :

«Le patriarche œcuménique Athénagoras de Constantinople a été un des plus grands amis de notre Église, un des plus intimes amis du pape Paul VI. C’est Athénagoras qui a salue le pape Jean XXIII, après son election, avec les paroles:  «Fuit homo missus a Deo, cui nomen erat Iohannes», et qui a appelé toujours le pape Paul VI par le nom Paul II pour caractériser la grandeur du pape et l’importance de sa mission. La sincérité et la pureté de ses sentiments ne souffrent aucun  doute. Il les a exprimés en paroles et en actes: en paroles si spontanées et si inspirées que nous avons entendues dans ses discours et que nous avons lues dans ses lettres; en gestes et en actes si généreux et si significatifs dont le monde entier, mais surtout la chrétienté, ont été les témoins.

Ses sentiments, pleins de foi et de charité, étaient nés et s’étaient développés dans la prière, dans le service du Christ et de l’Église. Il a été pendant toute sa vie un homme d’Église, comme diacre, quand il a pris le nom ecclésiastique d’Athénagoras; comme archidiacre et secrétaire de deux archevêques d’Athènes, leurs Béatitudes Mélétios et Théoklitos; comme métropolite de Corfou, et comme archevêque de l’Église orthodoxe des deux Ameriques; et, finalement, comme archevêque de Constantinople et patriarche œcuménique. Par les yeux  d’une  foi  profonde,  il a vu, dès le début de son ministère, la nécessité de l’unité de tous les chrétiens et plus spécialement le lien indissoluble, qui, malgré la séparation, existe entre l’Église de Constantinople et l’Église de Rome, ou, comme il aimait à ledire, entre la nouvelle et l’ancienne Rome (...)». Et l’article se terminait ainsi :

Le but espéré n’est point une espérance privée du pape et du patriarche; ils expriment dans leurs paroles l’espérance de l’Église entière. Prions pour que vers ce but, poursuivi avec tant de zèle par le patriarche qui fut caractérisé par le pape dans la même lettre comme «l’un des  promoteurs les plus généreux de la cause sacrée de l’unité», nos Églises soient conduites, par la grâce du Seigneur, dans la lumière de l’Esprit pour la gloire de Dieu».

Les funérailles ont réuni autour de la dépouille mortelle du patriarche Athénagoras, outre  les  Autorités  turques,  avec  le  gouverneur  et  le maire d’lstanbul ainsi que le commandant militaire, les représentants des diverses confessions chrétiennes. L’heure solennelle de la mort a ainsi synthétisé et exprimé la grande préoccupation de la vie entière du patriarche Athénagoras, que le saint père avait défini: «un  des promo- teurs les plus généreux de la cause sacrée de l’unité»427

À peine arrivée à Istanbul, la Délégation s’est rendue directement à l’eglise Saint-Georges du Phanar pour prier devant le cercueil du patriarche. Aussitôt après, la Délégation a été reçue par le métropolite de Chalcédoine, Mgr. Méliton, président du Saint-Synode, auquel elle a exprimé les condoléances du pape Paul VI; elle l’a assuré de sa prière et a exprimé le souhait que le travail pour l’unité des chrétiens, commencé par le défunt patriarche, puisse continuer aussi dans l’avenir.

On savait à Istanbul ce que le pape Paul VI avait dit à l’Angelus du dimanche précédent et le Patriarcat en a exprimé sa vive reconnaissance. Divers membres des Délégations orthodoxes en ont aussi manifesté leur satisfaction au cardinal Willebrands.

Toutes les Églises orthodoxes avaient envoyé leur propre Délégation. Celle de l’Église de Grèce était présidée par l’archevêque même d’Athènes, Hiéronymos. Les Églises non chalcédoniennes étaient représentées aussi par des Délégations particulières. Une Délégation de Vieux-Catholiques était présente, présidée par l’archevêque  Marinus  Kok,  président  de l’Union d’Utrecht. La Délégation de la Communion anglicane était présidée par l’archevêque de Cantorbéry, le Docteur Michael Ramsey. De la Délégation du Conseil œcumenique des Églises faisaient partie le secrétaire général d’alors, le Dr. Eugène Carson Blake, et le précédent secrétaire général, le Dr.Visser t’ Hooft.

Chaque rnatin, à 9h. 30, une Messe fut célébrée devant le cercueil du patriarche dans l’église Saint-Georges par un archevêque membre du Saint- Synode.

Les funérailles ont eu lieu le mardi matin. Après une Liturgie solennelle, commencée a 10 heures et célébrée par le métropolite Méliton de Chalcédoine, a eu lieu, à 12 heures, l’Office funèbre. Tous les métropolites membres du Synode ont récité la prière de conclusion de cet Office. La sépulture a eu lieu a 14 heures, selon le rite grec orthodoxe.

Les funérailles du patriarche ont été suivies par tout le monde dans une atmosphère de douleur ineffable, où l’amour profond se mêlait au respect qu’imposait la personnalité du grand disparu. Les hommages émus qui lui ont été rendus par ses pairs et par ses frères dans le Christ témoignent de la grandeur d’Athénagoras sur tous les plans. Mais le petit peuple des fidèles n’a pas été le dernier à manifester sa douleur. Témoin, les lamentations spontanées tout au long du chemin conduisant au cimetière des patriarches, le monastère de la «Source Vivifiante» de Balikli, aux anciennes Portes de la Ville de Constantin, près de Silivrikapi. La bière était portée par des ecclésiastiques: un cercueil de chêne noir. Le tombeau, d’une sobriété extrême, est situé au milieu de ceux des autres patriarches, avec une simple inscription: «Athénagoras, patriarche œcuménique, antérieurement archevêque d’Amerique. ler  novembre 1948-7 juillet 1972», avec les emblèmes patriarcaux.

Depuis ce jour, la tombe d’Athénagoras est l’objet de recueillement des chrétiens venus de toutes parts.

 

L’ÉLECTION DU NOUVEAU PATRIARCHE DIMITRIOS

Mais l’Église survit aux personnes mortelles. Le fait pour Elle d’être privée d’un Homme hors série, de son soutien familier, ne signifie pas que l’Église perd sa force et dépérit. C’est l’Esprit Saint qui trace la voie de l’Arche éternelle de l’Église. S’Il permet des conditions qui mettent la fraternité des chrétiens à des rudes épreuves,  Il  donne  également les moyens pour que de nouveaux liens s’établissent en profondeur et que de nouveaux Pacificateurs surgissent et se révèlent.

La secousse due à la disparition du patriarche Athénagoras n’a pas été ressentie uniquement au Phanar, siège du trône de Constantinople, mais aussi dans le monde panorthodoxe et dans les milieux de l’œcuménisme. Mais il va de soi que c’est au Phanar que certains problèmes se sont poses, puisque c’est à l’intérieur de l’État Turc que doit survivre et coexister le Patriarcat dans son siège remontant à la fondation de la nouvelle Rome et aux debuts du christianisme reconnu par Constantin.

Le Saint-Synode Permanent passe par des moments difficiles: l’avenir de l’existence de la Croix en Turquie se joue, l’orage menace le Patriarcat œcuménique qui traverse des instants de Passion. Le Saint-Esprit semble mettre à l’épreuve la solidité des liens réétablis par la Rencontre de l’Occident avec l’Orient sur le plan spirituel et ecclésial et pour apprécier dans quelle mesure l’évêque de l’ancienne Rome sauvegarde et protège ecclésiastiquement le trône vacant de la nouvelle Rome, qui est la chair de la chair de l’ancienne.

Le moment était crucial devant Dieu et devant les hommes. Certes, le peuple de l’Orthodoxie est le gardien naturel de l’institution apostolique de  l’Église de Constantinople,  mais la majeure partie du troupeau orthodoxe se trouve, sur le plan temporel, chassé «pour expier des péchés que seul le Seigneur connaît» sous des Césars qui n’autorisent pas que la voix de l’Église se fasse entendre. La nation grecque, en raison de la question de Chypre ne peut pas se voir exaucer en ce qui concerne le Patriarcat œcuménique. C’est ainsi que la Grande Église d’Orient est laissée  seule pour poursuivre son Calvaire. 

C’est à ce moment-là que le pape Paul VI entend la voix du Seigneur adressée à Pierre, le grand prédécesseur sur le trône de Rome: «Simon, Simon, (...) Moi j’ai prié pour toi, pour que la foi ne te manque pas; à ton tour, retourne-toi et soutiens tes frères» (Luc 22,32). Et le pape soutient ses frères au Phanar afin que l’élection du successeur d’Athénagoras puisse se faire librement, selon les dispositions séculaires de l’Église, en dépit de l’élimination par les Autorités temporelles de plusieurs métropolites, candidats au trône du Phanar, sur la liste présentée par le Patriarcat.

Mais cet affaiblissement a été compensé  par le Saint-Esprit qui indiqua la voie à suivre. On a recherché et trouvé l’homme qui, tel le porteur de la Croix du Christ sur le chemin du Golgotha, devait se charger de la Croix de l’Église. C’est ainsi que fut élu le 16 juillet 1972, à 11h., cet autre Matthias, le dernier des apôtres, Mgr. Dimitrios, venu de l’Archevêché d’Imbros et Ténédos, comme déjà dit.

Sa Sainteté le patriarche œcumenique Dimitrios est né a Istanbul en 1914 de, Panaghiotis et Irini, née Papadopoulos. En 1931, il se fait inscrire a l’École théologique de Halki; en 1937, il y terminait ses études en théologie et était ordonné diacre. Il a ensuite servi pendant un an comme secrétaire et prédicateur du diocèse d’Édessa, puis, comme diacre dans différentes églises d’Istanbul, jusqu’en 1942. Il a été alors ordonné prêtre. De 1942 à 1945, il fut curé de l’église des Saints-Apôtres, a Feriköy-Istanbul. De 1945 à 1950, il était à Téhéran, où il a organisé la paroisse orthodoxe. Après son retour à Istanbul, il a repris son ministère a l’église des Douze-Apôtres (1950-1964). En 1964, il a été élu évêque d’Élaia et il est choisi par le patriarche Athénagoras comme son auxiliaire pour le secteur de Kurtulus-Istanbul. En février 1972, il a été élu métropolite d’Imbros et Ténédos. Enfin, le Saint-Synode Permanent du Patriarcat œcuménique l’élit, comme déjà dit, successeur du patriarche Athénagoras et il devient, par cette élection, «archevêque de Constantinople, nouvelle Rome, et  patriarche œcuménique».

Le patriarche Dimitrios est un homme d’une modestie et d’une simplicité rares; sans artifices, il se tenait près du grand Autel, avec, en guise d’encolpion, les vertus  évangéliques  de la douceur et du sacrifice. C’est là que la Divine Providence l’a pris pour le monter  sur le trône sacre de la Grande Église d’Orient. C’est une sorte de Jean  XXIII, orthodoxe cette fois, qui prend la tête de l’Église, un prélat capable, dans sa sainte humilité, son extrême simplicité de devenir l’exégète de Son Mystère à notre époque troublée. Dimitrios, revêtu de la Grâce, retrouve les pas mystiques, l’expérience vécue par les orthodoxes, lorsque sa valeur de patriarche synthétise le  martyre  dans le  Christ  avec le  témoignage  du Christ; il prouve, dès qu’il a pris en main le gouvernail de l’Église, qu’il sait endosser le martyre des responsabilités et du service du Seigneur, et rendre un témoignage évangélique, pastoral, panorthodoxe, œcuménique.

Lors de son intronisation, le mardi 18 juillet 1972, en présence de la Délégation du Vatican, composée de Mgr. S. Asta, prononce en Turquie et du rév. Pierre Duprey, il fit montre de ses intentions apostoliques:

« (...) Nous poursuivrons la ligne tracée par notre grand prédécesseur, le patriarche œcumenique Athénagoras, de glorieuse mémoire, en vue de l’unité interchrétienne par l’entente entre orthodoxes (...). Nous nous adressons au monde entier et envoyons, de cette antique Église d’Orient, un seul mot d’ordre, un seul vœu: «Paix. La paix soit entre vous. Que la paix règne sur tous».

Voilà le nouveau Pacificateur que la Divine Providence a dépêché pour qu’il poursuive l’œuvre du disparu.

S’adressant au pape, dans le même discours d’intronisation: «De cette place de primus inter pares de la sainte Église orthodoxe, nous saluons le très saint et bienheureux pape de Rome, Paul VI, primus  inter pares de l’ensemble de l’Église du Christ, frère vénérable et vénéré, évêque de l’ancienne Rome et patriarche de l’Occident (...)»428.

Après la cérémonie, le patriarche Dimitrios reçoit en audience privée la Délégation du pape et, en échange des vœux présentés par les envoyés de Paul VI, il déclare:

«(...) Dites à Sa Sainteté que le Seigneur ne saurait ne pas exaucer la voix de tous les hommes qui implorent la paix et l’unité de Son Église. Les Pacificateurs marcheront toujours de l’avant et je les suivrai et, avec moi, le clergé et le peuple des fidèles de Dieu. Je fais le vœu que l’un puisse pénétrer le cœur de l’autre. Lorsque cela aura été réalisé, nous formerons une âme et un seul cœur. Notre préoccupation sera de communiquer spirituellement et ecclésiastiquement. Tous nos saints frères sont animés du même esprit que Nous. Nous adressons un baiser fraternel à sa Sainteté le pape et lui souhaitons; de toute notre âme, santé et force et puissance venue de Dieu. Le Seigneur nous a dit: «Demandez d’abord le règne de Dieu (...) et tout cela vous sera donné par surcroît» (Matt. 6, 33).

 

ÉCHANGE DES PREMIERS MESSAGES ENTRE LE PAPE PAUL VI ET LE PATRIARCHE DIMITRIOS

Entre-temps, le pape avait adressé au nouveau  patriarche le télégramme suivant:

«Au moment où vous assumez une lourde charge au service de l’Église du Christ, nous tenons à exprimer à Votre Sainteté nos vœux les meilleurs, accompagnés de notre fervente prière et nous l’assurons qu’Elle trouvera toujours en l’èvêque de Rome un frère aimant, désireux de continuer à progresser vers le jour tant désiré par votre grand prédécesseur, où sera scellée notre unité pleinement retrouvée.

PAULUS PP. VI»

Et le patriarche répondit:

«Appelé par la miséricorde et la bienveillance du Dieu très bon au gouvernement du très saint siège œcuménique et assumant notre charge patriarcale, nous adressons, de ce trône, à Votre Sainteté vénérée un cordial salut de charité dans le Seigneur et de respect. Que le nom du Seigneur soit béni.

Patriarche DIMITRIOS

Ainsi s’instaure le dialogue, cette fois entre Paul VI et le patriarche Dimitrios. Un nouveau chapitre s’ouvre dans les rapports entre l’ancienne et la nouvelle Rome.

Lors de la première séance du Saint-Synode, le 24 juillet, le patriarche fait les déclarations qui constituent son programme d’action. Se référant à la question de l’unité des Églises, il dit:

« (...) L’œuvre de notre prédécesseur de glorieuse mémoire patriarche Athénagoras dans le domaine de l’unité entre orthodoxes et entre chrétiens, œuvre grandiose et universellement reconnue, ne sera pas refrénée. Elle sera poursuivie par nous également, avec toute l’attention, l’application, le courage et la prudence voulus».

De son côté, le cardinal Willebrands avait envoyé un télégramme de félicitations ainsi conçu:

«Dans heureuse circonstance votre intronisation sur siège Patriarcat œcuménique, Secrétariat pour l’unité des chrétiens offre votre  Sainteté chaleureuses félicitations et demande au Seigneur vous accorder abondantes bénédictions et lumière dont vous avez besoin pour diriger votre sainte Église dans les voies de Dieu. Espère que nous pourrons continuer étroite collaboration entre nos Églises et progresser toujours plus vers pleine communion retrouvée.

JEAN cardinal WILLEBRANDS»,

auquel le patriarche répondit comme suit, le 21. août 1972:

«Avec un grand amour, nous avons reçu les salutations et les voeux bienveillants et fraternels que Votre Éminence, qui nous eat très chère, nous a adressés à l’occasion de notre élection et de notre intronisation sur le très saint siège apostolique du Patriarcat œcuménique.

Ces témoignages de charité et d’estime que nous avons reçus de partout de la part de nos frères dans le Christ nous ont profondément ému. Animé des mêmes sentiments envers eux, nous pensons que le développement de liens d’amitié,  d’estime et de respect, tant avec eux qu’avec leurs Églises, doit être une des plus importantes préoccupations de notre saint ministère patriarcal.

Remerciant chaleureusement Votre Éminence pour ses bons vœux, nous lui souhaitons à notre tour des jours nombreux, dans une santé inébranlable et sans accrocs et, l’embrassant dans le Seigneur, nous demeurons, avec charité fraternelle et le respect qui convient,

de Votre Éminence le frère aimé dans le Christ,

 DIMITRIOS de Constantinople».

 

L’ŒVRE DES PACIFICATEURS SE POURSUIT

Dans des déclarations faites, vers le 15 août, a des journalistes, le patriarche Dimitrios dit de nouveau:

«Nous allons nous efforcer systématiquement d’assurer l’unité de tous les chrétiens. Nos rapports avec la très-sainte Église de Rome seront renforcés et développés et c’est ce que nous sommes en train d’étudier».

Le patriarche met l’accent sur les efforts sincères opérés en vue d’une réconciliation totale avec l’Église de Rome. Il ajoute: “Nous ne nous reportons plus jamais aux facteurs qui ont déterminé la séparation et qui empêchent encore la réalisation de l’unité. Bien au contraire, nous examinons les points communs qui nous unissent»429.

Dès son intronisation, d’autre part, !e patriarche Dimitrios ne cesse de recevoir en audience des fils de l’Église de Rome, hauts dignitaires du clergé, simples ecclésiastiques ou fidèles laïcs qui viennent le féliciter et faire sa connaissance.  Parmi ces visiteurs de marque, on peut citer le conseil de “Pro Oriente” composé du Dr. Piffl-Percevic, de MM. O. Mauer et A. Stirnemann, désireux de contribuer à la reprise du dialogue théologique entre les deux Églises.

Les paroles du patriarche saluant le pape comme  primus inter pares ont soulevé un grand nombre de commentaires à la fois en Orient et en Occident. Une excellente mise au point très documentée est alors publiée par le rév. p. Pierre Duprey sur les prérogatives du pape:

«(...) L’activité synodale suppose, aux différents niveaux de sa réalisation, un “premier”, un primat qui rend possible cette activité. Si tous les évêques sont égaux comme évêques, il y a parmi eux des premiers, un premier (Math. 10, 2) qui jouissent d’un pouvoir  en vue de structurer la communion catholique.

Tel est le sens de l’adage primus inter  pares  dans  la  perspective orientale qui veut souligner la primauté du sacramentel. Souvent l’Occident n’a pas saisi tout ce que cet adage ainsi compris voulait dire. À l’échelon universel, il semblerait même ainsi  susceptible de pouvoir exprimer une théologie catholique qui insisterait sur l’unité du sulet de l’autorité suprême dans l’Église: le collège épiscopal groupé autour du premier des évêques, le pape, qui est sa tête. C’est alors la même autorité qui est exercée par tous, modalité collégiale et synodale, ou par celui qui est le chef, modalité personnelle et primatiale - ces deux modalités d’exercice de l’autorité sont en interdépendance, dans l’esprit du 34ème canon des apôtres. En parlant d’interdépendance, on veut situer l’exercise de l’autorité primatiale au niveau pastoral concret et réel des incessants échanges et relations entre les membres du collège et  entre ceux-ci et le premier d’entre eux. On ne veut aucunement limiter la liberté de l’exercice de cette autorité primatiale. Il ne s’agit pas ici du statut juridique de l’exercice de cette autorité -plusieurs sont possibles- mais de l’esprit qui inspire la manière d’agir de ceux qui en sont revêtus. Cet aspect est premier, surtout peut-être en Orient.

Dans un dialogue avec les orthodoxes, il faudrait aussi clarifier, pour éviter toute équivoque, les fondements des presveia de l’Église de  Rome, les raisons de  sa  potentior principalitas. C’est sur ce point, plus que sur le fait lui-même du pouvoir du premier des évêques, que nous divergeons encore»430.

Le pape Paul VI reçoit le 22 novembre en audience privée les membres des Commissions de l’œcuménisme des clergés de l’Église catholique-romaine. Du côté du Patriarcat œcuménique, c’est le métropolite Damaskinos qui assiste à l’audience. Le pape déclare au cours de cette entrevue431.

«(...) Avec les Églises orthodoxes, par exemple, nous sommes en communion presque totale, et les possibilités de collaboration pastorale sont à la mesure des liens étroits qui nous unissent (...)».

Vers la même époque, le pape reçoit l’archevêque orthodoxe Paul de Carélie (Finlande) qui relève du Patriarcat œcumenique;  il l’entoure de grands honneurs et lui dit432.

«Nous savons qu’il existe déjà un bon esprit de collaboration entre votre Église et l’Église de Rome: nous en sommes reconnaissants à Dieu. Par nos vœux et nos prières, nous demandons que cet esprit de collaboration se développe sous l’influence du Saint-Esprit et parvienne à sa plénitude un jour, dans la pleine communion ecclésiastique et la participation à la même sainte Eucharistie, selon la volonté même du Christ».

A Noël de 1972, des lettres de circonstance sont échangées entre le Phanar et Rome; des vœux personnels, sont adressés par le patriarche œcuménique au pape par l’entremise du pro-nonce Mgr. Asta.

Et la marche de l’avant se poursuit... .

 

ÉPILOGUE

Le dénouement de la tragédie  du  Corps  fragmenté  du  Christ,  de l’Église morcelée approche.

Les événements, les actes, les textes exposés dans l’historique que tente cet ouvrage ne témoignent pas seulement, et de façon irrécusable, de la dissipation des préjugés remontant à des siècles en arrière: ils sont également la preuve irréf utable d’une vie ecclésiale commune, qui s’épanouit progressivement comme une nouvelle expérience vécue de communion et d’unité dans le mystère du Christ. Ces données, peu ou insuffisamment  connues sont désormais soumises un peu plus systématiquement au jugement des mondes catholique et orthodoxe, clergé et fidèles.

En effet, pour peu qu’on se penche sur l’œuvre accomplie durant ces dernières années, ou constatera que nous sommes entrés dans une réalité tout à fait différente pour ce qui est des relations entre Églises.

Loin de nous dresser les uns contre les autres, catholiques romains et orthodoxes, nous nous rapprochons les uns des autres pour nous tenir tout près, puisque nous nous sommes retrouvés, comme de véritables frères dans le Christ. Qu’importe qu’«il existe encore des points à élucider et des obstacles à surmonter», et cela en dépit de «la lettre»  du droit canon, trop sèche et trop dure. Dorénavant, c’est la charité  chrétienne qui régit  les relations  entre Églises, qui est la loi suprême de la vie en Jésus, et de la fraternité en Lui. Les antiques Églises de l’Orient et de l’Occident chrétien,  la Rome «ancienne» ou Saint-Siège du Vatican, et la «nouvelle» -330 ap. J.-C.- Rome, transplantée à «Constantinople», dans son Patriarcat ne font désormais qu’«une seule Rome»  grâce au  souffle  irrésistible du Saint-Esprit,  le «Paraclet». Les deux Églises interprètent la question de la «préséance» comme un ardent désir de zèle à servir la communion de tous, autour d’un Point central d’une «primauté» qui ne cherche pas à dominer mais à ressouder les efforts pour «Une» Église, telle que les Synodes œcuméniques du passé l’ont admise et préconisée sous forme d’un chef «primus inter pares». Elles parlent à présent un langage commun, qui est conforme à l’inspiration apportée par le Saint-Esprit et pas les traditions des Pères de L’Église. Elles favorisent un dialogue théologique dépourvu de passion et une interpénétration dans l’amour chrétien. Elles renouvellent et intensif ient le message de L’Évangile sur un plan œcumenique, en insistant sur l’importance capitale de l’unité de l’Eucharistie pour le mystère d’une Église Une, pour un Calice unique.

Jamais depuis onze siècles les deux Églises ne s’étaient trouvées aussi proches l’une de l’autre, sur «un pied d’égalité» d’amour et de confraternité, que sous Jean XXIII, Athénagoras, Paul VI et Dimitrios. Inspirés mystiquement de haut, ils se sont pénétrés de la Paix de Dieu qu’ils sont parvenus, par des actes de Paix, à répandre sur le monde catholique romain et orthodoxe, dans la joie et la reconnaissance: d’où, dans la conscience de l’Église, leur appellation de PACIFICATEURS.

Ces quatre chefs spirituels se sont élevés jusqu’aux sommets de la Charité divine. Ils ont osé des gestes qui ont dissipé l’ignorance et l’indifférence dans les deux camps pour, heureusement, aboutir à l’identité de la foi audelά des divergences d’expression et des formes. Ils ont démontré que c’est L’Esprit-Saint qui dispense la Paix. Leur pas, discrets ou spectaculaires, ont été guidés par ce même Esprit-Saint, car «il n’est donc pas question de l’homme qui veut ou qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde» (Rom. 9.16).

Jean XXIII et Athénagoras ont semé le grain de la conciliation; leurs successeurs; Paul VI et Dimitrios, soignent la plante qui a poussé; ils le font avec sollicitude puisqu’il s’agit de l’espoir du monde chrétien pour l’unité: Dieu y pourvoira!

La marche vers Emmaüs se poursuit pour qu’un jour le Pain soit rompu en commun. La disparition des deux premiers Pacificateurs ne l’arrête pas: un jour, l’unité sera atteinte. La conscience de l’Église veille scrupuleusement sur la façon dont nous, les hommes, accomplissons fidèlement la volonté du Seigneur.

En effet, comme le relevait, quelques jours avant sa mort, le patriarche Athénagoras: Jésus Christ est le même pour tous, la Sainte Vierge, l’Évangile, le Baptême, la Foi dans le Christ, le saint Calice, l’Église sont les mêmes pour tous, dans cette vie temporaire et dans la vie éternelle. Voilà l’hymne des anges qui se chante, identique en Occident et en Orient: c’est là la Théologie suprême.

Chrétiens d’Orient et d’Occident, nous sommes appelés à cultiver d’abord en nous-mêmes et ensuite chez les autres, nos amis connus et inconnus, cette conscience apaisante à savoir que nous sommes des frères d’une seule Église, l’Église du Christ!

Dans ce mouvement vers l’unité, aucune des deux Églises n’est appelée à marcher vers l’autre: toutes les deux sont sommées à marcher vers le Christ, qui est le même pour les deux! Ce n’est pas une question de soumission d’ une Église à l’autre: il s’agit bien d’un retour vers «l’Église Une, sainte, catholique et apostolique», qui coexistera au Levant comme au Couchant, ainsi que les chrétiens vivaient avant le schisme de 1054, en dépit des points de vue divergents sur des affaires théologiques et administratives.

Ce jour glorieux de l’ Unité approche ... .

 

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