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On Line Library of the Church of Greece


 Boris Bobriskoy

Le Message de l'Orthodoxie en Cette Fin de Millenaire

SOP 207, Avril 1996, pp. 32-37

 

NOUS NOUS TROUVONS dans un temps de mondialisation accéléréé, dans une epoque de révolution technologique et informatique, oú de nouveaux modèles de communication transforment nos comportements, now mentalités et notre pédagogie. [...] L' orthologie connaît aujourd'uit un renouveau, un renouveau, une résurrection même, en particulier dans les pays de l'Est où les églises sont rendues au culte. Elles sont restituées, mais dans un état de délabrement extrême, après avoir été profanées et transformées en hangars, salles de cinéma ou lieux d'aisance. [...] Les monastères se repeuplent, les séminaires et les académies théologiques refusent des candidats, l'enseignement catéchétique se deéveloppe, les publications religieuses prolifèrent. Ce renouveau ecclésial notable s'accompagne dans le même temps d'une crispation religieuse et confessionnelle de divers milieux orthodoxes, monastiques ou autres, au sein d 'une orthodoxie qui recherche son identité et ne sait encore que s'affirmer "contre", contre les autres Eglises, les catholiques, les protestants ou les uniates.

La mondialisation se fait partiellement au bénéfice de l'orthodoxie. Nous sommes tous bénéficiaires du renouveau théologique et spirituel qui déborde les frontières des pays de l'Est. Par ailleurs, la diaspora, orthodoxe ou plutôt la dispersion providentielle de l'orthodoxie [...] est une veritable bénédiction de Dieu dans la mesure où, travers les epreuves dune migration forcée et douloureuse, des communautés orthodoxes, des paroisses, des monastéres, des dioceses, des instituts et seminaires de theologie se sont créés de toutes pièces et se sont développés. C' est de cette maniere que, sans aucune intention de prosélytisme, l' orthodoxie se trouve présente dans presque toutes les terres d' Occident et dans l'hémisphère Sud. Cette présence pose à l' orthodoxie elle-même un défi, un "challenge" et c' est là qu'ntervient la question-titre de ma communication : quel est le message de l' orthodoxie aujourdhui ? [...]

 

Message et identité

 

Aujourd'hui comme jadis, le message de l'Eglise est le même, c' est le message de salut, de vie et d'amour de Dieu au monde. Là, semble-t-il, notre message chrétien nous est commun à tous, grâce a Dieu, et nous devrions pouvoir le dire tous ensemble avec plus de force et de conviction que nous ne le faisons. Mais pour communiquer un message, ne faut-il pas avoir une identité ? Non seulement une identité culturelle, sociologique, géographique - on parle beaucoup de la géo-politique de nos Eglises et de l' orthodoxie, une géo-politique très lourde et handicapante - mais aussi donc une identité spirituelle et ecclésiale. La question fondamentale que je pose, a vous autant qu' à moi, c'est quelle est l' identité spirituelle, quelle est la spécificité de l'orthodoxie, de sa conscience d' elle-même ? Peut-on parler d' une personnalité ecclésiale de l' orthodoxie ?

Ce qui est vrai pour l' homme est vrai pour l' Eglise. On peut cerner la personnalité de chacun de nous à travers ses qualités et ses défauts, ses charismes, ses pôles d' interêt, ses lieux d' engagement, les traits de son caractère, mais la personne humaine est ineffable et au-delà de tout cela, même si elle s' incarne dans cette nature riche et polyvalente, elle est mystérieuse et ne peut pas et ne doit pas être l' objet d'une analyse réductrice, qui la ramenecait à ses composantes multiples. De même on peut cerner l'orthodoxie marquée par son existence historique? dans les peuples de l'Est, parler des cultures orthodoxes, de l' acculturation du message de l'Evangile dans la liturgie, que ce soit des pays slaves, des pays arabes ou de l'Ethiopie. On trouve à chaque fois des traits particuliers `dûs à la manière particulière dont s' opèrent ces épousailles entre le Christ et la terre elle-même.

On peut aussi réduire l'orthodoxie à un Orient chrétien. [...] On peut le faire de bonne foi comme le faisait Vladimir Lossky dans son Essai sur la théologie mystique de l'Eglise d' Orient. Lorsqu'en 1944 parut ce livre, l'orthodoxie était plus "orientale" qu'elle ne l' est aujourd'hui. Nous entrions seulement dans la prise de conscience de notre enracinement tout frais et encore malhabile sur les terres d'Occident. On peut citer le père Lev Gillet, cet ancien moine de Chevetogne qui a écrit tant de livres sous le pseudonyme "un moine de l' Eglise d'Orient". Dans ces cas-là, cette dénomination part d'un esprit d'ouverture et d'humilité qui ne veut pas imposer l' epithète "orthodoxe" pour parler du christianisme. [...]

Parfois au contraire, le terme Orient chrétien se situe dans une volonté implicite ou inconsciente de réduction de l' orthodoxie à une région et à une période en en faisant une sorte d"orientalisme" culturel et sociologique. L' orthodoxie devrait donc entrer dans le grand concert catholique des nations chrétiennes, que ce soit au Conseil oecuménique des Eglises, ou dans le retour à Rome; cela nous donne quelquefois l'impression que l' orthodoxie ne pourrait retrouver sa plénitude que dans l'unité qui lui manque actuellement. 

 

Le langage de L' orthodoxie

 

Pour essayer de cerner l' identité de l' orthodoxie, j'énumérerai quelques caractéristiques du "langage" de l' orthodoxie. Je voudrais d'abord distinguer langage et message. Le langage appartient à des temps, à des lieux ; il est sujet à renouvellement, traduction, evolution. Le message de l' Evangile, lui, est immuable, permanent, éternel.

Dans le langage de l' orthodoxie, il y a d'abord l' icône qui a aussi eu des temps de grandeur et de décadence. Aujourd'hui nous vivons un temps de renouveau iconographique dans certains pays, mais pas partout. [...] II y a une lente pédagogie du sens sacramentel de l'icône au-delà des formes d'un certain néo- classicisme. [...] L' art iconographique est une des composantes de l' orthodoxie et on aurait du mal à imaginer une orthodoxie sans icônes. Pourtant il m'arrive de prier dans un temple protestant ou dans une eglise cistercienne, et j'y trouve un sentiment de légèreté et de silence extraordinaire. On a parfois besoin que l'oeil se repose d'un langage iconographique très dense et puisse entrer en soi-même. En réalité, la veritable icône suggère le silence, elle en découle et elle y renvoie.

On peut aussi parler de la synthèse liturgique byzantine. [...] Cette liturgie est porteuse de la foi, de la tradition et de la vie orthodoxes et c'est en elle que nous trouvons l'application de l' adage lex orandi, lex credendi, c'est-à-dire que la règle de prière définit et ordonne la règle de foi, sans oublier la réciprocité. Le rituel byzantin unifie l'orthodoxie dans le monde entier et lui donne une conscience universelle. II n'est pourtant pas exclu que, si Dieu le veut, les eglises orientales orthodoxes non-chalcédoniennes fassent retour a l'orthodoxie. Nous connaitrions alors un pluralisme liturgique - comme ii y en avait un en Occident avant I'unification des rites par Rome - où voisineraient le rite copte, le rite syriaque oriental et le rite arménien, rites qui sont aussi vénérables, aussi porteurs de la foi orthodoxe que le rite byzantin. Mais, pour l'instant, quand nous pensons à l'orthodoxie, c' est au rite byzantin que nous pensons, ce rite adopté et transmis d'Antioche à Byzance, et par Byzance aux pays slaves et à la Roumanie et ensuite de là dans l'Europe et l'Amerique.

II y a aussi les structures ecclésiales, et principalement la conciliarité que nous prêchons dans notre ecclésiologie. Cette conciliarité doit se marier avec le sens des primautés régionales et même d'une certaine primauté universelle dont actuellement le patriarche oecumenique de Constantinople est l' héritier. Nous croyons néanmoins que si Dieu nous donne de revenir à l'unité avec Rome, nous retrouverons l' état de notre vie ecclésiale commune pendant le premier millénaire, jusqu'au patriarche Photius inclus. Nous prions pour que puisse se rétablir cette communion dans le cadre d'une conciliarit'e que Rome retrouvera et d' une primauté que l'orthodoxie réaffirmera dans le respect de l'ecclesiologie veritable.

Le langage théologique de l'orthodoxie a été marqué par les Pères de l'Eglise. Les grands Cappadociens, saint Maxime le Confesseur ou saint Jean Damascène nous sont communs, à l'Occident et à l' Orient. Tous on été lus et commentés par saint Thomas d'Aquin. Mais nous avons la grande tradition hésychaste du Xle au XVe siècle avec saint Syméon le Nouveau Theologien, un précurseur du protestantisme moderne avec son questionnement sur la valeur du baptême d' eau s'il n'est pas intériorisé par le baptême des larmes et de l'Esprit. Citons aussi saint Grégoire Palamas, prônant la distinction nécessaire - qui n' est pas division - entre l'essence de Dieu ineffable, incompréhensible et inconnaissable, et les énergies de Dieu, qui sent la manière dont Dieu se communique, sort de sa transcendance pour atteindre l'homme dans son état de créature et pour l'élever jusqu'à lui dans un processus de divinisation. La theologie de la divinisation qui est propre à toute la théologie patristique des premiers siècles a été très développée par ces saints docteurs. 

 

Un message qui doit rester transparent

 

Tout cela est important pour dessiner le visage de l'orthodoxie, pour comprendre son langage, parce que l'Eglise hérite de la divino-humanité du Christ, en tant que Corps dont il est la Tête et en tant qu'Epouse dont il est l'Epoux. Le message de salut et de vie divine doit nécessairement s' incarner dans des structures de langage, de pensée, de sensibilité spirituelle ou esthétique des époques et des lieux. II s' est incarné dans le judéo-christianisme et l'hellenisme naissant; il a surmonté les tentations de l'hellenisme platonisant ou de la Rome païenne, plus tard il a relevé le défi des pays slaves, de l'africanité et enfin de la modernité. Partout l'Eglise a eu des apôtres, des prophètes, des temoins de l'Evangile. [...] Ainsi le message de l' Evangile s' incarne et se revêt d' une robe bariolée de cultures et d' art mais demeure et doit demeurer un et transparent quant à l'essentiel, comme les icônes et l'iconostase qui doivent laisser transparaître la gloire du Royaume et non masquer les coulisses d'un mauvais théâtre.

II faut décaper l'orthodoxie pour atteindre l'essentiel. Décaper quoi ? Préserver quoi ? Les dogmes ? Les dogmes ne sont que des garde-fous necessaires qui nous protègent des excès et des folies de droite et de gauche, mais qui ne définissent ni n'epuisent le mystère. Rappelons les affirmations du concile oecuménique de Chalcédoine en 451, à savoir que dans l'unité de l'hypostase de la personne du Christ s'unissent inséparablement et indivisiblement, sans confusion et sans mélange, la divinité et l'humanité. Ce sont des acquis pour toujours de la conscience et de la foi de l'Eglise. Les rites liturgiques ou l'icône sont des langages sacramentels. En tant que tels ils sont divino-humains et nous introduisent dans une participation au mystère du salut bien au-delà et bien en-deça du langage verbal et conceptuel. [...] Les sacrements sont des icônes, des icônes gestuelles, matérielles, verbales, artistiques, qui toutes renvoient à la présence mystérieuse et toujours ineffable du Verbe incarné dans la puissance de l'Esprit Saint. Ces sacrements, au- delà du Verbe, nous ramènent vers le Père, selon les gemissements de l'Esprit, également attestés par saint Ignace d'Antioche : "II y a en moi une eau vive qui murmure: 'Viens vers le Père'".

Lorsque nous parlons du message de l'horthodoxie, nous ne pouvons pas faire abstraction du symbole et du sacrement, comme en seraient tentés certains mouvements soi-disant spirituels chrétiens modernes. Car l'homme est Iui-même un être symbolique et sacramentel (et collégial), par nature et par vocation. Pourtant ne faisons pas de l'icône ou de la littérature liturgique une arme totalitaire niant la créativité naturelle de l' homme. Nous rappelons toujours, et il faut le faire, la spécificité de l'icône par rapport à l'art religieux, la spécificité du dogme divino-humain par rapport à la pensée religieuse, par rapport à l'effort toujours renouvelé de la pensée humaine pour cerner quelque chose du mystère. Mais cela n'abolit pas la légitimité de l'art dans son élan créateur le plus intime, n'abolit pas la légitimité de la pensee litteraire,
philosophique, poétique, dans sa quête de la beauteé et de l'absolu, dans son apparente autonomie que Dieu lui-même respecte. [...] 

 

L'amour de Dieu, révélation du mystère trinitaire

 

Le message de l'orthodoxie est la proclamation de l'amour infini de Dieu comme amour trinitaire, comme révélation du mystère de la Trinité qui sort de sa transcendance dans l'acte créateur du monde et qui suscite l' homme à son image trinitaire pour le faire participer à la vie divine. Un philosophe russe du siècle dernier disait : "Notre programme, c'est la Trinité". Non pas une spéculation théologique, - ce serait trop facile et trop desséchant -, non pas une speculation sur les processions éternelles, mais la découverte que le rêve d'lsaïe s'est realise : "Ah, si tu déchirais les cieux et si tu descendais!" (Is 63,19), et que contre toute espérance, l' espoir de Job est venu : "Je sais que mon défenseur est vivant et que de ma chair je verrai Dieu" (Job 19,25-26).

Parler au monde de la Trinité, c' est annoncer le Verbe incarné, le Fils du Père, le Christ ressuscité dans la puissance et le feu de l'Esprit Saint. Le mystère du Christ, celui de sa divino-humanité, c'est la certitude que tout dabord "demeure en lui corporellement toute la plénitude de la Divinité" (Col 2,9), - cela contre toute reduction qu'elle soit ancienne ou moderne, de sa nature divine et éternelle. Rappelons que les hérésies du passé constituent des tentations permanentes de l'intelligence humaine. Si la puissance divine et la gloire éternelle sont encore cachées sous le vêtement de la chair, elles pénètrent le corps du Christ qui est aussi notre corps et lEsprit Saint nous communique ainsi un dynamisme de résurrection et d' accession à la vie divine que nous appelons divinisation. 

 

La double dependance du Christ et de l' Esprit

 

Mais le mystère du Christ est aussi celui de sa pleine humanité en tout semblable à la nôtre sauf le péché. Une humanité totalement transparente, pénetrée et obéissante à l' Esprit Saint dans un mystère d' obeissance réciproque. C' est un de mes thèmes les plus chers, le sujet de ma thèse : le repos de l'Esprit dans le Christ. C' est ce qu'on appelle la christologie pneumatique. C' est comprendre qu'il est impossible de parler,de penser, de formuler le mystère du Christ, tant dans son humanité que dans sa divinité, sans poser en même temps et à l' interieur même de ce mystère la présence de l' Esprit. Les Pères le disent bien, et il suffit de relire le Traité du Saint-Esprit de saint Basile le Grand pour voir combien l'Esprit Saint accompagne Jésus, le précède dans les prophètes, l' incarne, le pénètre, le pousse dans le désert et le conduit dans tous les événements de sa vie jusqu'au Golgotha, à travers une tentation permanente. Jesus apparaît foncièrement obéissant à l' Esprit. C' est un aspect de la christologie qu'on a eu tendance à oublier, dans l' orthodoxie pareillement, et que nous retrouvons avec force aujourd' hui. Si le Christ est obéissant à l' Esprit, c'est parce qu'il en est rempli complètement, tout en lui est pneumatique. Saint Paul dit ainsi : "Le Seigneur est Esprit" (2 Cor 3,17). C'est aussi parce qu'il est rempli de l' Esprit qu'il le communique, déjà avant l' Ascension, et ensuite à la Pentecôte. II y a une double relation, une double dépendance, le Christ obéissant à l'Esprit et l' Esprit obéissant au Christ, dans une réciprocité de dons et de vie qui constitue le mystère de l' Eglise. 

 

"Une Eglise qui s'oublie elle-même"

 

L'Egiise est le Corps du Christ, l' Epouse du Christ. Dans le foi chrétienne, l' Eglise n'est pas une institution autonome. Dans son essai magistral "Le Corps du Christ vivant" (in La Sainte Eglise Universelle : confrontation oecuménique, Neuchâtel-Paris, 1948), le père Georges Florovsky disait que l'ecclésiologie n'a pas d' autonomie propre. Elle est une partie de la christologie, une partie du mystère du Christ et du salut. Elle est une parenthèse entre les deux venues du Christ. Lorsque l' Eglise célèbre l'Eucharistie, les deux parousies se rejoignent dans la présence eucharistique du Christ, la présence de Celui qui est, qui etait et qui vient. L' Eglise est là, comme porteuse de l' Esprit. Pour bien cerner le mystère de l' Eglise, j'aimerais rappeler le mot du père Congar au concile de Vatican II : "L' Eglise est servante et pauvre", à l' image de son Chef, porteur de l' Esprit et source de l' Eau vive. L' Eglise, je parle ici pour l' orthodoxie, s'oublie elle-même, ne cherche pas à se definir ni à s' installer, ne joue pas avec ses titres. Elle se doit d' être transparente à la fois à Dieu et au monde. Transparente comme le prêtre qui célèbre l' eucharistie, in Persona Christi comme dit la théologie latine, icône du Christ, comme nous le disons. II s'efface pour laisser entendre parler le Christ dans ses paroles de l' institution, dans l' invocation du Saint-Esprit, dans la prédication évangélique. Transparence à Dieu dans laquelle l' Eglise intercède pour le monde entier, car elle est là pour continuer l'oeuvre du Christ pour le salut du monde. D' autre part, elle est transparente aux hommes et leur communique la grâce de Dieu. LEglise se place dans une double médiation d' intercession et de grâce. 

 

Discerner l' essentiel et le secondaire

 

En conclusion, je dirais que pour cerner le message de l'orthodoxie, il faut d' abord discerner dans sa tradition l'essentiel et le secondaire. L' essentiel, c'est le message du Christ, le message de l' incarnation et de la Résurrection. Incarnation incessante au sein de cultures et d' époques variées, dans un véritable acte sacramentel que j'appellerai le "baptême" de ces cultures. Un historien de l'art russe parlait de l' icône comme du "baptême de l' art" ; on peut parler de la théologie comme du "baptême de l' intelligence". Mais qui dit baptême dit d'abord mort du vieil homme, mort de l' intelligence orgueilleuse et autonome, de sa prétention à cerner, à posséder et à dispenser le mystère et la grâce de l' Esprit en axiomes et en postulats géométriques. Résurrection, car à travers ce processus baptismal de mort du vieil homme, notre intelligence, la plus personnelle et la plus ecclésiale, devient enfin capax Dei, devient porteuse du Verbe qui a assumé notre humanité et notre langage.

Pour cerner le message de l'orthodoxie, il faut faire une double démarche. D'abord un décapage pour atteindre l' essence de l' orthodoxie, de la foi, de l'Eglise, du christianisme. C' est le mystère trinitaire de salut, de la réconciliation de l'homme avec Dieu, son Créateur, de plénitude de salut comme divinisation. L' Eglise, dans sa transparence et dans la mesure de sa transparence, appartient à l' essence même du salut, non pour elle-même mais comme le lieu nécessaire de la vie en Christ. Eglise sainte, certes, mais Eglise sous le jugement de Dieu, comme le rappelle la lecture de la lettre à l' Eglise de Laodicée dans l'Apocalypse.

A partir de l' essentiel, c'est-à-dire du message de salut annoncé et communiqué aux hommes, l' Eglise nous parle dans toute la richesse et la sagesse de la Tradition chrétienne. Les dogmes, comme je le disais, sont les garde-fous contre les hérésies, contre les tentations permanentes de l' intelligence humaine, ce sont des lieux de communion dans la vérité vivante du Christ et non des armes d'opposition et d' antagonismes. Les dogmes, comme les structures de l'Eglise - primauté, conciliarité, hiérarchie, discipline - tout cela est au service de la vie et de l'amour. La vie liturgique retrouve sa place dans ce message de l' orthodoxie, comme mode privilégié et nécessaire de l' experience ecclésiale et personnelle vécue et vivante de la communion au Christ dans l' Esprit Saint.

N' oublions pas de mentionner ici le "pôle interieur" de la vie liturgique qu' est la prière du coeur ou prière de Jésus que la tradition orientale a préservée et cultivée à travers les avatars de l'histoire. Je dirais que ce n'est pas la tradition orientale qui a préservé la prière du coeur, mais que c' est la prière du coeur, - qui est invocation incessante du nom de Jésus -, qui a préservé l' Eglise et les peuples à travers les tourmentes de l' histoire. C' est ce que disait un prêtre russe que j' interrogeais à ce sujet dans les années 60 : sans la prière du coeur, nous n'aurions pas pu tenir. C' est ainsi que nous parlons de la "dimension philocalique" de la prière. La Philocalie est une anthologie de textes sur la prière du IVe au XIVe siècle, rassemblés au XVllle, et qui a été traduite dans beaucoup de langues. Dans cette tradition hésychaste de paix et de silence interieur, nous ne voyons pas une spiritualité particulière, mais la certitude que l' Esprit Saint unifie l' homme tout entier et le transforme en atteignant et en renouvelant le coeur humain, siège de la presence du Christ. Je parlerais donc de la valeur universelle et "catholique" de la prière du coeur, pour tout homme et pour tout l'homme.

Je retiendrais également le sens renouvelé de l' icône, qui déborde lui aussi largement les frontières de l' orthodoxie. C' est une fenêtre par laquelle l' Esprit pénètre nos coeurs et nous rassemble. L'icône peinte doit être l' expression de l' icône intérieure gravée au coeur de l' homme, cette image de Dieu non faite de main d' homme, qui doit être décapée, rénovée pour illuminer notre être. Dans ce sens, et dans ce sens seulement, l' icône appartient à l' essence du message chrétien et donc au message de l'orthodoxie.

Si enfin nous savons rappeler le sens caché des symboles, l'au-delà de la vie sacramentelle et du langage conceptuel ou iconographique, nous sommes alors capables de nous rejoindre, frères séparés, dans une même vision de l'Unique necessaire et de nous tenir la main dans la main pour ouvrir ensemble à celui qui frappe à la porte de nos coeurs, afin que les hommes d' aujourd'hui puissent s'exclamer comme les hommes de l' antiquité en nous voyant : "Regardez comme ils s'aiment". Alors le message d' amour parle de lui-même.

(Les intertitres sent de la redaction du SOP.) 

 

 

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