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Wladimir Weidle

L'Icone : Image et Symbole

Traduction Irène Rovère, revue par l'auteur. Le texte russe a paru dans le «Vestnik» des Etudiants Russes, no 55 (1969)


L'icone appartient a l'Orthodoxie. Elle n'est que l'hôte de l'Occident. Pourtant, elle est née dans l'Eglise encore indivise et le catholicisme ne conteste pas sa vénération. Mais une ancienne tradition de l'icone -et le culte qui lui est lié- ne s'est maintenue (d'une manière assez limitée) qu'en Italie, car celle-ci a gardé, à travers les siècles, un lien plus solide aussi bien avec les premiers temps du christianisme qu'avec Byzance. Cependant, même dans ce pays, la tradition de l'icone est restée secandaire.

Aujourd'hui, dans les eglises catholiques de tοιιt l'Occident, il n'est pas rare de trouver des icones isolées, de facture dite italo-grecque, οu des reproductions de ces icones; la plupart représentent la Mère de Dieu et jouissent de l'attention des fidèles. Mais elles n'ont fait leur apparition qu'il y a peu, en vertu d'un besoin qui ne se manifestait pas auparavant et dont il serait intéressant d'éclairer l'origine.

L'art religieux de l'Occident, même dans ses créations les plus proches de l'icone, comme le tableau d'autel italien οu l'Andachtsbild -l'image de dévotion- des pays transalpins-, oeuvres contemporaines de l'essor de l'icone en Russie -, ne devient pas cependant un art d'icone; il se présente sous une forme artistique différente et sa signification religieuse est également différente.

L'icone n'a trouvé ses racines et ne s'est pleinement affirmée que dans le christianisme oriental, plus précisément grec. Ge qui, d'évidence, ne veut pas dire qu'elle n'ait de sens que dans ses frontières.

La signification générale, humaine et chrétienne, de l'icone est de révéler, avec la clarté la plus grande, la veritable nature de l'art figuratif religieux et même de toute figuration en général.

L'idée même de l'icone est déterminée par sa vénération par l'Eglise, et cette vénération se fonde sur deux caractères étroitement liés attribués à la représentation οu figuration telle que l'icone la réalise: la ressemblance et l'identité (comprise ici comme tendance à une unité de présence) entre l'icone et ce qu'elle représente. Un examen attentif du contenu de ces conceptions nous permettra de mieux comprendre, nοn seulement l'icone, mais toutes les autres représentations, même celles qui s'en trouvent le plus éloigné.

Commençons par la ressemblance. Ence qui concerne les icones, de quelle ressemblance s'agit-il? Sinous consultons les auteurs qui ont traité ce problème, en commençant par la période qui précède l'iconoclasme nous découvrons qu'il est presque toujours question chez eux de la ressemblance la plus stricte, d'une correspondance exacte entre l'image et ce qu'elle représente, correspondance nοn pas intérieure mais extérieure, donc d'une ressemblance au sens le plus ordinaire du mot. La tradition iconographique, pieusement conservée de siècle en siècle, se fonde sur cette ressemblance; et s'il est inadmissible de s'ecarter de cette tradition, c'est que ce serait s'écarter de la ressemblance. Celle-ci fut garantie par les légendes sur les icones- portraits, celles qui, par exemple, auraient été peintes par l'évangéliste saint Luc, et sur les icones miraculeuses du Christ, de la Mère de Dieu et de quelques saints, qui n'auraient pas été peintes «de main d'hom- me»... Le patriarche de Jérusalem Dosithée affirmait en 1672 que les icones «ressemblantes» n'ont pas besoin d'être consacrées (consécration, du reste, introduite tardivement: le 7e Concile œcumenique l'ignorait encore).

Pourtant, il suffit de se rappeler les icones elles-mêmes οu de jeter un cοup d'oeil dans les manuels des iconographes pour se convaincre qu'il ne s'agit pas de ressemblance comme nous la comprenons οu comme οn la comprenait à l'époque hellénico-romaine. Οn ne peut rien découvrir qui ressemble à une copie d'après nature dans l'icone la plus parfaite. L'icone miraculeuse du Sauveur (transportée de la Cathédrale de l'Assomption à la Galerie Trètiakov) οu la Vierge de Vladimir, ne sauraient donner l'idée d'un modèle vivant reproduit par un artiste. Et néanmoins ce sont ces icones-là qui font apparaître de la manière la plus pure et la plus évidente une autre ressemblance: celle de l'image avec l'original que contemple l'Eglise.

Mais comment une ressemblance est-elle possible avec une realite invisible que l'οn ne peut contempler -personnellement οu dans l'assemblée de l'Eglise- que par les yeux de l'esprit? Οu bien: que signifie cette ressemblance? Un contemporain de saint Augustin, Paulin, évêque de Nole, ecrivait à un ami qui lui avait demandé son portrait: «De qui veux-tu que je t'envoie l'image, de l'homme terrestre οu de l'homme céleste? » entendant par là que cette seconde image ne pouvait tout simplement pas être envoyée. Οn aurait pu rétorquer qu'un bon portrait donne, nοn seulement l'image physique, mais aussi l'image spirituelle d'un homme, s'il ne s'était agi ici de toute autre chose: de l'image, appelée «céleste» à juste titre, puisqu'elle remplace entièrement l'image terrestre, et se réfère au corps spirituel qui ne surgira qu'après la dissolution de la chair. L'art de ce temps n'avait pas encore atteint la spiritualisation indispensable pour realiser des oeuvres figuratives correspondant a des notions de cet ordre, mais surtout; il apparaissait déjà clairement que de telles œuvres devaient être nοn des portraits, mais des icones. Et c'est précisément selon la vision de l'icone -qui englobait aussi la fresque et la mosaïque et même l'architecture religieuse-, c'est précisément selon cette vision que se forma plus tard le style byzantin, tout entier style d'icone et qui, dans ses plus beaux jours, n'a cherché de ressemblance qu'avec l'invisible, le spirituel, accessible seulement aux yeux de l'esprit.

Ce moment n'arriva qu'au début du second millénaire, après un long travail préparatoire de purification du terrestre et du charnel, après un rejet progressif de l'héritage artistique de l'Antiquité. A l'époque des querelles iconoclastes, lorsque l'Eglise précisa sa doctrine de l'icone, ce travail n'était nullement terminé... C'est pourquoi la reponse que le 7e Concile œcuménique donna aux iconoclastes ne pouvait être et ne fut pas complète; cette lacune fut comblée nοn dans les œuvres théologiques de la période suivante, mais par les icones elles-mêmes et, plus largement, par l'épanouissement de l'art sacré à Byzance. C'est ainsi que la question de la ressemblance, autrement dit de la nature même de l'icone, fut résolue, sinon en principe, du moins en fait.

Les iconoclastes affirmaient qu'une icone du Christ est impossible οu impie, parce que les deux natures du Sauveur sont à la fois inconfusibles et inséparables. Οn ne peut représenter la nature divine: représenter seulement la nature humaine signifierait que l'οn nie, avec les Nestoriens, le caractère indivisible des deux natures; ce serait en outre faire passer une image humaine pour celle du Dieu-Homme. Quant à représenter l'humanité du Christ en considérant qu'οn représente par là-même sa divinité, ce serait tomber dans le monophysisme qui nie la distraction des deux natures. Les défenseurs de l'icone rappelaient que Dieu s'est fait homme, ce qui permet de le représenter; mais, si l'οn s'en rapporte à leurs arguments, de le représenter dans sa seule nature humaine: ce qui correspond plus οu moins aux images du Sauveur dans l'art paléochrétien et préiconoclaste, mais nοn aux icones byzantines des siècles postérieurs auxquelles οn peut appliquer les paroles du P.Serge Boulgakoff «L'icone et la vénération de l'icone», (Paris 1931, en russe, p. 135): «l'icone du Christ est l'image une de Dieu et de l'homme dans l'Homme-Dieu».

Les iconoclastes objectaient encore que les représentations de la Mère de Dieu et des saints retracent nécessairement leur apparence et leur existence terrestres et nοn leur gloire céleste. Ces objections elles aussi furent réfutées moins par les théologiens des VIIIe et IXe siècles que par l'art des siècles suivants qui sut représenter par l'icone toute sainteté -qu'il s'agisse de personnages οu d'événements- dans la gloire qui lui revient.

Le refus de l'expression sculpturale à trois dimensions, joint à l'élimination des volumes dans la peinture et le relief -sans que les autorités ecclésiastiques soient intervenues d'aucune façοn- montre bien que l'art accomplissait de lui-même la tâche que lui avait tacitement confiée l'Eglise. Car il ne s'agissait pas seulement d'une antipathie à l'égard de la statue qui avait été une idole chez les païens (en Occident, cette antipathie ne fut que passagère), mais d'un choix instinctif et très sûr des moyens qui seuls permettent d'obtenir l'impression de «nοn-charnalité», ce qui ne veut pas dire d'incorporalité: les Grecs sentaient parfaitement la différence entre la chair et le corps, différence que nous, leurs héritiers, avons cessé de sentir, bien que leur langue l'ait transmise aux nôtres.

Le monde de l'icone est peuplé d'êtres nοn-charnels mais qui, pour autant, ne sont nullement dépourvus de l'eurythmie et de l'harmonie propres aux organismes vivants. Le corps qui leur a été conservé οu rendu, c'est justement ce corps spirituel que saint Paul, dans le l5e chapitre de la première aux Corinthiens, oppose au corps psychique. L'apôtre évoque le corps de résurrection et, de fait, tout ce que dépeint l'icone grecque, puis l'icone russe, a sa place au ciel et nοn sur la terre. Et cette réalité n'est pas seulement sous-entendue: les maîtres byzantins avaient appris et apprirent aux autres à la montrer, à la rendre évidente.

De même que la coupole d'une église byzantine, οu, plus tard, les cinq coupoles à la fois avec leurs mosaïques à fonds d'or, donnent a ceux qui participent à la liturgie l'impression d'être déjà au ciel, de même chaque icone à elle seule οu l'iconostase tout entier donne au croyant ce que l'épître aux Hébreux désigne comme le don de la foi: «La foi est la garantie des biens que l'οn espère, la preuve des réalités qu,e l'οn ne voit pas» (11,1). «Ce qu'οn ne voit pas», ici, ne signifie pas seulement ce que l'οn n'a pas encore vu, οu ce que l'οn a cessé de voir, mais cette plénitude qui, promise à l'espérance, affirmée par la foi, est inaccessible à la vue. C'est elle que l'icone rend visible: la mission de l'icone ne se borne donc pas à illustrer les récits de l'Ecriture, à reproduire les événements et les personnages évangéliques, mais à mettre en évidence de façon immediate l'enseignement et la foi de l'Eglise. Cela ne veut pas dire, bien entendu, que l'Annonciation, la Nativité οu la mort du Sauveur sur la croix ne se situent pas avec précision dans le temps et l'espace; mais l'icone révèle, au-delà du moment et du lieu, le sens de ces événements, elle les enlève au passé pour les insérer dans le cycle de l'année liturgique; elle ne les rattache pas à la terre mais les transfère au ciel, les auréole de louange et de gloire, en fait l'objet d'une contemplation et d'une adoration intemporelles. L'icone ne demande pas, comme l'a fait l'art à d'autres époques, comment était meublée la pièce οù est entré l'ange, quel était le paysage qui se déroulait au pied du Golgotha, à quelle profondeur Thomas enfonça le doigt dans la plaie du Ressuscité. Ce ne sont pas seulement les anges qu'elle voit dans une lumière qui n'est pas de la terre, mais aussi la Mère de Dieu et les saints. Et dans le Sauveur, à travers toute sa vie d'ici-bas depuis l'enfance jusqu'à la croix, l'icone montre le Dieu resssuscité qui jugera les vivants et les morts. Un iconoclaste pourrait à la rigueur l'accuser de monophysisme, en aucune façon de nestorianisme: elle ne sépare pas les deux natures du Christ, elle ne montre pas son humanité seule (comme le fera un art plus humaniste); quant à la nοn-confusion des deux natures, aucun art ne saurait l'exprimer. En dehors de l'icone, l'art ne connaît que l'image d'un homme dont l'unité avec Dieu est sous-entendue mais n'est pas montrée.

Ainsi, ce qui devient visible dans l'icone, c'est le céleste et l'éternel. Ce que contemple l'esprit, elle le suggère par les formes du corps spirituel et le rend accessible à la vue. C'est là le sens même de l'icone, son intention et son idée.

Cette idée, Byzance seule a pu la concevoir, car elle n'est concevable qu'à partir de la pensée grecque. La notion même d'une réalité visible n'en reproduisant pas une autre mais exprimant ce qui n'est accessible qu'à l'esprit et nοn à l'expérience sensible, cette notion est purement grecque et remonte, en définitive, à Platon. Plotin enseigne que la beauté doit être contemplée par l'oeil intérieur, d'οù il ressort qu'il s'agit précisément de «figurer» l'objet de cette contemplation intérieure. Son disciple Porphyre avait déjà appliqué cette pensée à la representation des dieux païens en expliquant que la réalité cachée s'y révèle et devient visible.

Puisant aux mêmes sources, Denys le Pseudo-Aréopagite affirme des représentations οu images, au sens le plus général, qu'elles constituent «le visible de l'invisible», tandis que saint Jean Damascène, qui les désigne seulement comme «la ressemblance. ...l'empreinte de ce qui s'y trouve représenté», se rapproche de Denys lors-qu'il parle des icones même qu'il appelle «le visible de l'invisible et de ce qui n'a pas de forme» (la première et la troisième de ces citations sont empruntées à l'οuvrage déjà mentionné du P. Serge Boulgakoff, pp. 71 et 36). A cet invisible qui transcende la forme, l'icone ressemble pourtant. De quelle ressemblance? Nous savons maintenant que ce n'est pas de celle qu'οn peut atteindre en reproduisant l'apparence sensible des objets. La ressemblance, pour autant, n'est pas amoindrie mais intensifiée: elle devient identité.

Dans son traité «Dela Hiérarchie ecclesiastique», Denys note en passant (mais ici encore Damascène lui fait écho) que la ressemblance authentique de l'image au modèle signifie leur identité, la seule différence étant celle de leurs natures (nous dirions aujourd'hui des plans de l'être auxquels οn peut les rapporter).


***

Nous atteignons ici ce qu'il y a de plus profond dans l'icone et qui fait de l'image un symbole: son contenu religieux inséparable cependant de sa réalité d'œuvre d'art... Les formules dogmatiques qui précisent sans l'épuiser le contenu de l'icone soulignent que la prière qu'οn adresse à celle-ci s'élève vers Celui qu'elle représente et auquel seul convient l' «adoration véritable», distincte de la «vénération» dûe à son image. De telles différences sont exactes théoriquement, elles ont leur utilité pour prévenir certaines confusions (toutefois οn doit remarquer que râcler la peinture des icones pour la mêler au vin de la communion et autres superstitions de ce genre observées à certaines époques s'expliquent nοn par la confusion de l'icone et de son modéle, mais bien de l'image et du matériel qui a servi à la peindre).

Si disposés que nous soyons à faire, dans l'image- symbole de l'icone, les distinctions qui s'imposent entre le signifiant et le signifié dont la conjonction constitue le symbole, ces différences s'abolissent quand nous prions devant l'icone. Comment pourrions-nous alors séparer le culte de vénération de ce culte d'adoration que nous adressons, nοn à l'icone elle-même -cette expression «l'icone elle-même» n'a-t-elle pas déjà perdu son sens pour nous? -mais à Celui qu'elle représente et qui ne nous apparaît que par son image, avec elle, en elle, sans separation? Ce que nous donne directement la prière devant l'icone, c'est précisément l'identification entre l'icone et son modèle, identification qui nous est rendue plus facile par le style traditionnel de l'icone, par l'habitude que nous en avons, par notre sûreté qu'elle est telle qu'elle doit l'être (grâce à sa rigoureuse fidélité à la tradition de l'Eglise), mais plus encore par son authentique «ressemblance», dans sa facture même, avec une réalité inaccessible mais que nous devinons d'une beauté parfaite, avec ce qui est du ciel et nοn de la terre.

Les iconoclastes soulignaient, pour rejeter l'image du Christ, qu'il ne peut y avoir aucune autre image consubstantielle du Christ que l'eucharistie. Les défenseurs des icones rétorquaient qu'οn ne peut définir l'icone par la consubstantialité, l'identité ne concernant ici que l'hypostase οu le nom, alors que dans l'eucharistie, elle concerne effectivement l'essence. Ils auraient pu répliquer aussi qu'il n'y a justement pas d'image dans l'eucharistie et qu'οn ne peut appeler le Vin et le Pain images du Christ qu'au figuré...

Les iconoclastes reconnaissaient la plénitude religieuse du symbole, mais nοn de l'image; pour eux, la croix par exemple possédait un pouvoir, l'icone nοn; ils croyaient à la présence réelle du corps et du sang du Sauveur dans les Saints Dons, mais ne croyaient pas à la présence véritable de son image intelligible dans l'icone. Ils étaient prêts à identifier dans le symbole le signifiant et le signifié, mais refusaient d'identifier dans l'image la représentation et le représenté. La raison pourrait en être l'éloignement des milieux iconoclastes du courant de la pensée grecque qui enseignait à comprendre symboliquement l'image comme «le visible de l'invisible», entièrement assimilée a celui-ci, au lieu de voir en elle la simple reproduction du visible. ΙΙ est probable que ceux des iconoclastes qui déposèrent les armes devant la pensée grecque eurent progressivement la révélation de ce qui jusqu'alors leur était demeuré caché. Et surtout, l'icone elle-même, par la suite, exclut de plus en plus la possibilité de fausses interprétations et montra de façon toujours plus nette qu'elle était bien conforme au sens que ses partisans lui avaient recοnnu. Ce sens, préservé dans l'Eglise orthodoxe, n'est cependant nullement étranger à celui des autres représentations. Au contraire, c'est lui qui nous aide à comprendre ce qu'οn pourrait appeler la structure sémantique de toute image, quelle qu'elle soit.

Tout d'abord, par contraste extrême avec le sens de l'icone, se révèle la nature de ces images dans lesquelles la structure sémantique, celle qui, intérieurement, signifie οu exprime un lien entre la représentation et le représenté, fait belle et bien défaut-, dans lesquelles il n'y a pas de sens du tout. De nos jours, des images de ce genre, absolument nοn-signifiantes, se voient partout, nous assiègent de toutes parts-, reproductions de «morceaux de réalité» obtenues mécaniquement et que nous reconnaissons tout aussi mécaniquement, images nοn imaginées et dépourvues de toute puissance imaginative.. Certes nous pouvons dire qu'elles ressemblent à des objets réels et que toutes sortes de sens pratiques leur appartiennent, mais, ce faisant, nous appeIons sens la destination, le but, la fonction, ce que nous n'avons jamais eu besoin de faire en parlant de l'icone...

Toutes les autres images, parce qu'elles sont dûes à la main et à la pensée de l'homme, dοnc à la participation, même très limitée, de l'imagination, recèlent une structure sémantique plus οu moins complexe, plus οu moins profonde. En des disposant selon ce degré de complexité et de profondeur, οn se rend compte qu'elles constituent d'elles-mêmes une échelle qui se rapproche de l'icone lorsqu'οn la gravit, qui s'en éloigne lorsqu'οn la descend.

En simplifiant à l'extrême, οn peut limiter cette échelle a quatre degrés. Sur le plus bas se trouvent les veaute et panoramas, les estampes οu dessins documentaires des siècles passés, exécutés «au jugé» et participant donc du monde intérieur de l'homme malgré la prépondérance de l'image-reproduction sur l'image en tant que création artistique.

Sur le -très large- degré suivant, nous placerions les créations du dessin, de la gravure et, bien entendu, de la peinture et de la sculpture, qui constituent sans conteste des œuvres d'art: ici, ce qui est représenté a d'abord été imaginé par l'artiste, toutes les données de l'expérience sensible sont passées par son expérience intérieure: images du visible donc, mais aussi de l'invisible dans le visible.

Sur un degré encore plus élevé trouveront place les rares œuvres d'art dans lesquelles tout ce qui est visible et matériel se trouve pénétré, traversé par la lumière de l'invisible, de sorte que se révèle en elles une réalité qu'οn ne saurait nommer que dans la langue de la religion.

Au degré suprême enfin, nοn plus au seuil, mais a l'intérieur de la vie religieuse, resplendit l'image οù s'incorpore la contemplation de cette réalité même, la vision de l'invisible, et que nous appelons: icone.


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