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Nicolas Afanassieff

L'apotre Pierre et l' évêque de Rome
A propos du livre d'Oscar Cullmann «Saint Pierre, Disciple -Apôtre - Martyr. Neuchatel - Paris 1952.

Theologia 26, Athènes 1955, p. 465-475; 620-641


Chapitre 6

Pierre pouvait—il avoir des successeurs? M. C. croit que la promesse avait été donnée personellement à Pierre, et à Pierre en tant qu'apôtre. Il insiste avec une force particulière sur le fait que l'apostolat n'est pas renouvelable. C'était un phénomène exceptionnel dans l'histoire de l'économie divine et après la mort du dernier apôtre, il n'y avait plus d'apôtres. M. C. souligne plusieurs fois que l'évêque n'est pas un apôtre mais un évêque, donc il n'est pas le successeur de ceux dont le ministère n'est pas renouvelable et qui s'est produit «εφάπαξ». Tous ces arguments procèdent de la position fontamentale de M. C. sur laquelle nous avons déjà attiré l'attention et selon laquelle l'apostolat concerne le temps de l'Incarnation et non celui de l'Eglise.

Le théologien orthodoxe est quelque peu étonné de l'insistance avec laquelle M. C. affirme que les évêques ne sont pas des apôtres dans l'Eglise(1). Il semble que les théologiens catholiques le sont aussi. Du moins P. Benoit, dans la recension déjà citée, remarque que même le pape ne se croyait jamais apôtre. M. C. a raison de dire que l'apostolat en tant que tel ne peut pas se répéter. Il a raison aussi de dire que la promesse au sujet du roc fut donnée à Pierre personellement et que personne ne peut assumer le rôle de Pierre, l'Eglise ayant été édifiée sur Pierre une fois pour toutes. Je pense que sur ce point il ne peut pas y avoir de divergences. Mais tout cela veut—il dire que Pierre n'avait pas et n'a pas de successeurs? M.C. ne nie pas du tout que le ministère de direction qu'exsrçait Pierre, en tant que premier président de l'église de Jérusalem, se continue par succession dans l'Eglise et qu'il est exercé par les évêques, qui ne sont que des évêques et non des apôtres. Plus encore, M. C. est prêt à admettre que dans l'Eglise universelle il peut y avoir un chef unique qui serait à sa tête (p. 213), mais ce serait sans rapport avec Pierre. «Pour les chefs de l'Eglise universelle, il n'existe pas de chaîne de succession... A partir de Jacques, il y a une lacune» (p. 211). Enfin, M.C., semble-1-il, ne nie pas la succession episcopale, qui, en son point de départ, remonte aux apôtres. L,a question est de savoir s'il y a un lien quelconque entre les apôtres et ceux qu'ils instituaient comme présidents des églises. En particulier—et c'est le plus important pour nous—s'il y a un lien entre Pierre et le ministère des présidents des églises.

Y-a-t-il, en fait, une limite entre le temps apostolique et le temps post—apostolique, limite qui sépare les deux périodes entre elles ? Nous avons déjà vu que, selon notre opinion, l'apostolat se rapporte non pas au temps de l'Incarnation mais à celui de l'Eglise.Avec ceci est levé le principal argument de M.C. contre la «succession apostolique». Les évêques et les apôtres se rapportent au même temps et donc nous pouvons penser à une certaine succession entre les uns et les autres.

M.C. fait remarquer que le fondement de l'Eglise fut posé une fois pour toutes et que, donc, il ne peut pas y avoir de succession apostolique que l'on ne peut pas trouver dans Mt. XVI, 17—19. Dans ces mots du Christ rien n'est dit au sujet de la succession, mais ce ne peut pas être un argument définitif contre elle, car elle peut être comprise dans la notion de l'Eglise qui s'édifie sur Pierre. M.C. lui—même admet que le Christ continue à édifier l'Eglise sur Pierre le roc (p. 212). Il me semble que cette indication de M.C. peut nous donner la solution que nous cherchons, si nous la cherchons dans l'Eglise elle—même et non en dehors d'elle. Cette indication est inexacte, si nous y comprenons que le Christ continue d'édifier l'Eglise, qui comme Son corps est édifiée une fois pour toutes. Elle est exacte si nous y comprenons que l'Eglise de Dieu en Christ, suivant le plan de Dieu, doit se manifester non pas dans une seule église locale mais dans la pluralité des églises locales, qui toutes sont identiques dans leur nature, comme le sont toutes les assemblées Eucharistiques. La place de l'apôtre Pierre à la première assembée Eucharistique ne pouvait pas rester inoccupée : elle revenait au président de l'église locale. Il ne faut pas oublier que dans l'église ancienne la place à l'assemblée Eucharistique était liée avec le menistère lui correspondant. En occupant la place de Pierre, le président remplissait un ministère pastoral, qui était l'une des fonctions du ministère apostolique. M. C. fait mention dans son livre de la doctrine qui dit que l'évêque a occupé la place des apôtres, mais il croit qu'elle peut prêter à des malentendus (p. 197). Tout malentendu disparaît si l'on considère la doctrine de la succession apostolique non pas isolément mais dans le cadre de l'Eglise. Il est absolument inadmissible déposer la question de savoir à qui Pierre aurait transmis son ministère et notamment son rôle de fondement de l'Eglise. Ce rôle, il l'a assumé personnellement, car la promesse lui a été donnée personnellement. Il ne pouvait pas le transmettre et ceci non seulement parce que l'Eglise a été édifiée une fois pour toutes sur Pierre, mais aussi parce que son rôle a été, au fond, passif: l'Eglise a été édifiée sur Pierre par le Christ et non par Pierre (2).En ce qui concerne le pastorat, il ne pouvait pas être transmis par Pierre à l'insu de l'Eglise ou en dehors de l'Eglise. Il est inexact de penser, comme le fait M. C. que Pierre, en quittant Jérusalem, aurait transmis la direction de l'église de Jérusalem à Jacques. Dans l'église primitive, l'institution des présidents des églises ne se passait pas de la sorte: elle se faisait dans l'Eglise et par l'Eglise.C'est dire que l'Eglise porte en soi le principe de la succession apostolique, qui s'exprime par la succession des évêques, en commençant par le premier institué par l'apôtre ou par celui qui en avait la commission spéciale. Comme président de l'église, l'évêque s'insère dans la succession apostolique, mais comme individu il ne l'est pas, car ce n'est pas à lui personnellement qu'appartient la succession. Elle lui revient à travers l'église dont il est le président. Le pastorat, institué par le Christ dans l'Eglise (Jn. XXI, 15—17), ne peut ne pas se répéter, car par son essence et par son but il doit justement se répéter et doit se transmettre de l'un à l'autre. Il doit se conserver par succession, car l'on ne peut pas admettre qu'il soit terminé dans l'Eglise avec la mort de Pierre et des apôtres. Le pastorat des apôtres n'était pas différent du pastorat des présidents des églises, qui existaient déjà lors des apôtres: l’un et l'autre pastorat se faisaient dans l'Eglise. En liaison avec le pastorat, qui passe de Pierre aux présidents des églises, nous devons nous demander si la promesse, donnée par le Christ à Pierre d'avoir les clefs du Royaume de Dieu et de pouvoir lier et délier, se transmet elle aussi au présidents des églises. Cette question peut être posée q'une autre manière : quel est le rapport entre le pastorat et la promesse du Christ dans Mt. XVI, 19? La solution de ce problème dépend en grande partie de la définition des relations entre Mt. XVI, 19 et Jn. XXI, 15-17, définition que je ne peux pas soulever ici. Ce qui est sûr, c'est que la promesse de Mt.XVI, 19, bien qu'adressée directement à Pierre, lui est donnée dans l'Eglise et pour l'Eglise, et non en dehors ou par dessus l'Eglise. Le texte de Mt. XVI, 17-19 en témoigne lui—même: d'abord sera construite l'Eglise, ensuite Pierre aura en elle les clefs et «pourra lier et délier». C'est une indication aussi sur ce que le Christ avait promis de revêtir Pierre d'un ministère spécial dans l'Eglise et non d'un pouvoir. Le terme «potestas» ne se trouve par dans le texte des paroles du Christ, telles que les rapporte Matthieu. Sauf erreur, Tertullien fut le premier à apporter ce terme dans l'exégèse de Mt. XVI, 17-19. Il n'y a rien d'étonnant à cela : ce juriste romain, devenu chrétien et même s'étant joint au montanisme, ne pouvait pas facilement se refuser à penser selon le mode juridique. Nous savons bien qu'il a en fait apporté beaucoup de notions juridiques dans la pensée chrétienne. Devous—nous le suivre pour estimer que le Christ a transmis le «pouvoir» des clefs et le «pouvoir» de lier et de délier? Le Christ ne chargeait pas les apôtres d'un pouvoir dans l'Eglise et sur l'Eglise, mais il les chargeait de ministères. «Aussi bien, le Fils de l'homme n'est il pas venu pour ce faire servir, mais pour servir...» (Me. X, 45);
«Car c'est un exemple que je vous ai donné, pour qu'à votre tour vous fassiez ce que je vous ai fait» (Jn. XIII, 15). Au moment où l'Eglise fut construite sur Pierre, Pierre a reçu en elle le ministère des clefs. Si ce rôle de Pierre en tant que roc ou pierre de l'Eglise ne peut pas se répéter, le ministère des clefs en tant que ministère ecclésial, doit continuer en elle. C'est l'explication du fait que le Christ avait étendu le ministère des clefs à travers Pierre sur les autres apôtres, alors qu'ils ne remplissaient pas la fonction de Pierre: être le roc sur lequel le Christ a édifié l'Eglise. Le contexte dans lequel se trouve Mt. XVIII, 18 indique clairement qu'il s'agit d'un ministère ayant directement trait à l'Eglise. Il est démonstratif qu'en relation avec ceci il est fait mention encore une fois de l'Eglise: «dis—le à l'Eglise...». Il s'agit de l'excommunication et, aussi, d'une nouvelle admission, ce qui faisait toujours partie du pastorat, comme l'une de ses fonctions, qui ne pouvait pas cesser dans l'Eglise. Le contenu du ministère des clefs était, semble- t-il; représenté par le fait que les porteurs de ce ministère pouvait «lier et délier», cependant ce n'était peut—être pas tout. En édifiant les églises locales, les apôtres étaient leurs premiers présidents et occupaient la place centrale à l'assemblée Eucharistique. Dans les églises constituées par les apôtres, ceux—ci consacraient les présidents des églises, qui en occupant leur place à l'assemblée Eucharistique, recevaient d'eux et, à travers eux, de Pierre, le ministère du pastorat, sans être liés par cela à un vrai ministère apostolique. Les présidents des églises locales ne devenaient jamais des apôtres mais les apôtres, en exécutant la mission imposée par le Christ, exerçaient le ministère de président d'église, car, sans ce ministère, ils ne pouvaient pas édifier les églises locales. Dans l'Eglise, le pastorat passe par succession de Pierre et des apôtres sur les présidents des églises. S'il n'y avait pas cette succession apostolique, il ne pourrait pas y avoir de ministère du pastorat, sans lequel ne peuvent pas exister les églises locales.

Nous avons vu que Mt. XVI, 17-19 ne contient pas, à proprement parler, l'idée de la succession de Pierre, mais seulement la suppose, car elle est contenue dans la notion même de l'Eglise en tant que corps du Christ dans son aspect eucharistique. Une indication plus directe peut être trouvée, me semble-1-il, dans Jn. XXI, 15-23 (3).Ce fragment de l'Evangile appartient au nombre des passages les plus mystérieux des Ecritures. Sa difficulté provient du fait qu'il compte, semble-1-il, non pas une mais plusieurs significations, selon l'habitude de l'Evangéliste. Sans me risquer à donner une exégèse quelconque de ce fragment, je me limiterai seulement à attirer l'attention sur l'aspect eucharistique de ce fragment. Les verbes ἀριστάω, ἀγαπάω (4) et μένω en témoignent. Ces deux derniers verbes ont chez Jean, dans la plupart des cas, un sens eucharistique. Cependant, cela ne signifie pas que le repas dont il est fait mention dans Jean XXI, 15 ait été un repas Eucharistique, car ce dernier avait eu lieu pour la première fois à la Pentecôte. Dans ce fragment nous voyons une opposition entre la mort de Pierre et la «permanence» de Jean. Cette «permanence» n'est pas en relation avec la vie ou la mort du disciple bien-aimé, comme en témoigne l'Evangéliste lui-même, mais elle contient un sens spécial. Parallement la «mort» de Pierre doit avoir une signification supplémentaire. La mission, confiée à Pierre par le Christ: «Pais mes brebis», qu'il devait accomplir lors de l'assemblée Eucharistique (verbe ἀγαπάω), aurait pu se terminer, si, après la mort de Pierre, avait cessé la célébration de l'Eucharistie et si, en conséquence, l'Eglise avait cessé son existence, car sans l'assemblée Eucharistique il ne peut pas y avoir d'Eglise. Jusqu'au moment «jusqu'à ce que je vienne» un autre doit occuper sa place à l'assemblée Eucharistique: ici le temps de l'Eglise n'est limité par aucun délai. C'est pourquoi, la prophétie de la mort de Pierre dans Jn. XXI, 18 comporte un double sens : prophétie au sujet de «genre de mort par lequel Pierre glorifierait Dieu» et prophétie que sa place sera occupée par d'autres, ses successeurs, car l'idée de la mort dans le domaine du ministère ecclésial, contient en soi l'idée de la succession. La place du Christ à la Sainte Cène était occupée par Pierre à l'assemblée Eucharistique, en tant que Sainte Cène ecclésiologique, tandis que la place de Pierre est, à son tour, occupée par d'autres. Avec la multiplication des églises locales se produit la multiplication de ceux qui occupent cette place, bien qu'elle soit restée une comme est restée une la place du Christ. En vertu de quoi, il ne peut pas y avoir de successeur unique de Pierre, car celui-ci ferait supposer que l'Eucharistie s'accomplit seulement dans un endroit, comme cela était dans le temple vétéro-testamentaire, où seulement pouvaient s'accomplir des sacrifices. Cela s'est déjà produit du vivant de Pierre, lorsque Jacques, frère du Seigneur, occupa la place de Pierre à Jérusalem et les présidents des églises locales le firent en d'autres endroits, mais cela devait surtout arriver après la mort de Pierre. Durant la vie de Pierre, les présidents des églises locales étaient en quelque sorte ses remplaçants et après sa mort ils sont devenus les successeurs sur sa place. L'Eglise ne peut exister sans Pierre: c'est sur lui qu'a été édifiée l'Eglise de Dieu, dans laquelle il est le roc. Sa place sur laquelle siègent ses successeurs reste dans l'Eglise «jusqu'à ce qu'il vienne». Par contre, il est dit de Jean qu'il demeurera (verbe μένω), car et de son vivant et après sa mort il reste sans successeurs. Dans ce sens l'Evangéliste de l' ἀγάπη ne mourra pas, car l'Eucharistie sera célébrée «jusqu'à ce qu'il vienne». Il y a dans l'Eglise une succession de Pierre mais pas de succession de Jean : telle est la conclusion que l'on peut, semble-t-il tirer de Jn. XXI, 15—23 (5). Cette conclusion n'épuise évidemment pas le contenu de ce passage de l'Evangile. Je n'insiste pas sur cette conclusion, et elle ne me sert pas de base aux idées fondamentales de mon article. Si même nous ne voyons pas dans Jn. XXI, 15—23 d'indication sur la succession de Pierre, cette succession, je l'ai déjà dit, se trouve dans la doctrine de l'Eglise-Corps du Christ, qui se manifeste dans sa plénitude à chaque assemblée Eucharistique de l'église locale.





Notes

1. Déjà A. V. Gorsky écrivait: «Ce ministère est sans succession, au sens propre du tenne les apôtres n'avaient pas de successeurs et ils ne pouvaient pas en avoir» (Histoire des temps évangéliques et de l'église des apôtres. 1902, p. 420. en russe).

2. Pierre Bonnard, Jésus—Christ édifiant son Eglise. Neuchâtel—Paris 1948, p. 26.

3. Dans son étude «Saints Pierre et Jean. Deux premiers apôtres» (Paris IQ26), le père S, Boulgakoff voyait dans Jn. XXI, 15-23 l'institution ou la restitution du «primat» de Pierre, fondé sur l'autorité, mais limité par le primat de Jean. Bien qu'otivertement il ne dise rien de l'idée de la succession, elle se sous—entend naturellement. C'est évident à la suite de la remarque que Jean n'a pas de succession (p. 80). Mais justement, l'idée de la succession est nettement soulignée par R. Gra ber clans son travail «Petrus der Fels. Fragen um den Primat» 1949. (Sur une certaine coincidence entre ces deux auteurs, voir l'article de B. Schultze, S. J. «Die Apostel Petrus und Johannes und der Primat» in Orientalia Christiana Periodica, vol. XVII (1951) No I - II, ss. 203-217). Mon accord avec R. Graber se limite seulement à l'idée de la succession. Dans tout le reste, surtout dans les conclusions, nous sommes séparés. En relation avec les travaux de S. Boulgakoff et de R. Graber, il me semble utile de faire la remarque que les questions de savoir si le pouvoir de Pierre s' étendait sur Jean et si notamment le pouvoir de l'évêque de Rome pouvait s'étendre sur lui me semblent être sans but, car l'idée même du pouvoir n'existait pas dans le christianisme primitif. Le Christ n'avait pas confié à l'apôtre Pierre le pouvoir sur l'Eglise, donc il n'avait pas besoin de limiter le «primat» de Pierre par le «primat» de Jean. Comme je l'ai déjà indiqué, le transport dans le christianisme primitif de l'ecclesiologie moderne fait surgir devant nous des types de questions qui ne se posaient pas alors.

4. Sur la signification de “ἀγαπάω” voir Bo Reicke, Diakonie, Festfreude und Zelos. Uppsala 1951.

5. Voir p. S. Boulgakoff «Saints Pierre et Jean», p. 90.

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